24-11-2008

 

The Journal of Hélène Berr

 

Em Português: Diário de Hélène Berr, Dom Quixote, Lisboa, 2008 ISBN  9789722036955. 256 pags.

 

 

20 DÉC 2007

 

La vie brève

Critique

 

Document. Parution en janvier du «Journal» inédit d'Hélène Berr, écrit entre 1942 et 1944 à Paris. Des pages exceptionnelles par leur clairvoyance et leur qualité littéraire.

 

Hélène Berr Journal, 1942-1944 Préface de Patrick Modiano, Tallandier, 302 pp., 20 euros

 

Sur la photo, Hélène Berr se tient devant Jean Morawiecki dans une prairie ou un jardin. Debout au milieu d'herbes hautes, ils ont l'air à la fois heureux et distraits. Dans son journal, Hélène écrit : «Je suis allée avec J.M. cueillir des fruits dans le verger là-haut. Lorsque j'y repense, j'ai l'impression d'un enchantement. [.] Le ciel bleu et le soleil qui faisait étinceler les gouttes de rosée et la joie qui m'inondait. Ce matin-là, j'étais complètement heureuse.» On est le 15 août 1942. Deux ans et demi plus tard, Hélène mourra à Bergen-Belsen, quelques jours avant la libération du camp par les Américains.

Jean Morawiecki est toujours vivant, il a 86 ans aujourd'hui. En 1945, le journal d'Hélène lui a été remis, comme elle l'avait demandé. Soixante-deux ans plus tard, il est publié, comme elle l'avait souhaité. Ce sera l'événement éditorial du début de l'année 2008. Une évidence depuis la foire du livre de Francfort en octobre.

Regards. Ce journal intime tenu entre 1942 et 1944 par une jeune fille de la bourgeoisie juive dans Paris occupé par les Allemands est d'abord un document exceptionnel. L'historien Michel Laffitte, qui en cite de longs passages dans son livre Juif dans la France allemande (1), raconte comment, en le découvrant, il a été «saisi» par la richesse du témoignage «alors qu'on pensait que tout avait été dit sur les Juifs pendant l'Occupation». Il est aussi exceptionnel par sa qualité littéraire. Hélène a 21 ans quand elle en écrit les premières pages, 23 ans les dernières. Entre-temps, un écrivain est né.

Dans ce journal, la jeune fille pose un regard ébloui sur la beauté du monde (le jardin, l'été, son amour naissant pour Jean), en même temps qu'un regard horrifié, mais qui ne cède pas, devant le danger qui se rapproche. Elle parle d'«un resserrement de la beauté au coeur de la laideur».

Hélène Berr est née en 1921, à Paris, dans une famille «de vieille souche française», comme le dit Mariette Job, sa nièce, dans sa très sobre préface. Hélène a deux soeurs et un frère. Son père, Raymond Berr, chimiste réputé, est vice-PDG de l'entreprise Kuhlmann.

Quand son journal débute, le 7 avril 1942, Hélène raconte une vie normale, privilégiée d'une certaine manière. Son violon (c'est une excellente musicienne), son premier petit ami, Gérard (il s'agit du juriste Gérard Lyon-Caen, qui a pu lire le journal avant sa mort il y a quelques années), ses amis de la Sorbonne (à cause des lois de Vichy, elle ne peut passer l'agrégation mais prépare une thèse sur Keats), ses journées dans la maison de campagne d'Aubergenville (Yvelines), sa rencontre avec Jean, en avril 1942. Six mois plus tard, lorsqu'elle le voit pour la dernière fois - il part rejoindre les Forces françaises libres -, ils sont fiancés.

Et puis il y a son autre vie. Hélène travaille à la fois pour l'Entraide temporaire (une organisation clandestine qui tente de sauver des enfants juifs) et pour l'Ugif (voir page IV). Assistante sociale bénévole, elle parle des enfants qu'elle emmène à la campagne ou jouer chez elle, Doudou, Odette, des enfants parfois tout petits qui ont été arrachés à leurs parents deux jours ou deux mois plus tôt, comme ceux-ci, «ramenés à Drancy pour être probablement déportés. Ils jouent dans la cour, répugnants, couverts de plaies et de poux. Pauvres petits». Ou le petit Bernard, dont la mère et la soeur ont été déportées, et qui dit «cette phrase qui semblait si vieille dans sa bouche de bébé : "Je suis sûr qu'elles ne reviendront pas vivantes" ; il a l'air d'un ange».

Quand Hélène parle du port de l'étoile jaune, des réactions des passants, du jardin de Notre-Dame dont elle est chassée, du Faubourg Saint-Denis presque vide après les rafles, on a l'impression de comprendre pour la première fois l'horreur et l'absurdité de la vie quotidienne des Juifs dans Paris occupé.

Elle raconte à la fois ce qu'elle voit de la persécution des Juifs et ce qu'elle entend dire, elle rassemble des informations éparses, comprend la réalité de la menace. «On a parlé aussi des gaz asphyxiants par lesquels on aurait passé les convois à la frontière polonaise. Il doit y avoir une origine vraie à ces bruits.»

C'est déchirant de lire ces pages où elle exprime cette prescience de la catastrophe, cette conscience d'être à la veille de la fin d'un monde, mais aussi cette volonté de laisser un témoignage de sa pensée vivante à Jean. «Je sais pourquoi j'écris ce journal, je sais que je veux qu'on le donne à Jean si je ne suis pas là lorsqu'il reviendra. Je ne veux pas disparaître sans qu'il sache tout ce que j'ai pensé pendant son absence, ou du moins une partie. Car je "pense" sans arrêt. C'est même une des découvertes que j'ai faites, que cette "conscience" perpétuelle où je suis.»

Mais ce qui rend ce texte exceptionnel, c'est que, au fur et à mesure que le piège se referme sur elle, Hélène exprime à la fois le sentiment d'être prise dans une tragédie collective et un oubli d'elle-même bien au-delà du courage. Il y a parfois, dans sa façon de s'identifier à la souffrance des autres, dans ce désir de la prendre sur elle, un côté presque christique. A un moment, citant l'Evangile selon saint Matthieu, elle dit : les paroles du Christ sont semblables aux «règles de conscience auxquelles j'essaie d'obéir d'instinct». On a le sentiment que cette ouverture, cette porosité à la souffrance des autres, est aussi liée à l'état d'hypersensibilité que contient l'amour naissant. Et c'est sans doute ce qui passe de cet état dans son écriture qui nous la rend si proche, si vibrante, qui touche au plus profond de nous.

La dernière entrée du journal est datée du 15 février 1944. Alors que des nouvelles atroces lui parviennent de partout, les derniers mots qu'elle écrit sont une citation d'Au coeur des ténèbres de Conrad : «Horror ! Horror ! Horror !»

Copies.Pourquoi ce journal, contrairement à celui d'Anne Frank, n'a pas été publié immédiatement après la guerre ? Et comment cela s'est-il fait ? C'est le résultat d'une chaîne dont les maillons sont Michel Laffitte, bien sûr, mais aussi Karen Taieb, l'archiviste du Mémorial de la Shoah, et surtout Andrée Bardiau, la cuisinière de la famille Berr, Jean Morawiecki, le fiancé d'Hélène, et Mariette Job, la plus jeune des neveux et nièces d'Hélène, qui s'est retrouvée «passeuse», comme elle le dit elle-même (lire ci-contre), de ce journal.

Quand Hélène est arrêtée, le 8 mars 1944 au matin, elle est seule avec ses parents et Andrée Bardiau. La famille Berr est transférée à Drancy puis déportée à Auschwitz. Après leur départ, Andrée Bardiau récupère le journal d'Hélène (avec son violon), elle le remettra à son frère Jacques à la fin de la guerre. Jacques et ses soeurs (Denise et Yvonne) en font une copie, dactylographiée par un employé de Kuhlmann. L'original est remis à Jean Morawiecki lorsqu'il rentre à Paris. Depuis, pendant toutes ces années, des copies ont circulé, elles ont été lues par la famille, par un petit cercle de proches (2). Serge Klarsfeld et Simone Veil en ont eu connaissance. Mais la famille (certains de ses membres en tout cas) n'était pas prête à le voir devenir un texte public : trop douloureux, trop intime.

En 1992, Mariette contacte Jean, elle sait qu'il a été conseiller d'ambassade et lui envoie une lettre par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères. Jean répond immédiatement. Entre-temps, il s'est marié, en 1950, et a eu une fille. En 1992, sa femme vient de mourir.

C'est le début d'une amitié entre Jean et la nièce de sa fiancée disparue. En 1994, Jean donne officiellement le journal à Mariette Job. En 2002, elle se rend au Mémorial de la Shoah, elle y rencontre Karen Taieb à qui elle remet une copie puis l'original du journal, des feuilles de papier quadrillé, couvertes d'une écriture fine et régulière, au crayon et à l'encre, avec étonnamment peu de ratures.

Karen Taieb raconte qu'elle est «tombée amoureuse du texte». Elle n'est pas la seule. L'exposition permanente du Mémorial comprend 20 vitrines qui racontent 20 destins. La plus regardée est celle qui contient le journal et la photo d'Hélène. Un jour où Mariette Job passe au Mémorial, elle tombe sur un groupe de jeunes filles qui déchiffrent le manuscrit, pendant que d'autres, assises, attendent leur tour. Une responsable du Mémorial lui confirme que, tout au long de l'année, ce sont des milliers de visiteurs qui s'arrêtent devant la vitrine d'Hélène. Mais ça ne suffit pas à décider la famille Berr. Il faudra encore une autre étape.

Ciné-Rire. A l'occasion de la parution du livre de Michel Laffitte, Karen Taieb organise, le 20 février, une soirée présentée par Mariette Job et l'historienne Annette Wieviorka. La comédienne Béatrice Houplain lit des extraits du journal d'Hélène, plusieurs membres de la famille Berr sont dans la salle. C'est en voyant l'intérêt et l'émotion du public, explique Mariette Job, qu'elle a «trouvé le courage et l'énergie de refaire le tour de la famille». Avec succès cette fois. A partir de là, tout ira très vite. Des contacts sont pris avec deux ou trois éditeurs, c'est finalement Tallandier qui comprend le mieux l'importance de ce texte et le publie avec une préface de Patrick Modiano.

Pourquoi Modiano ? D'abord parce que l'écrivain avait lu le livre de Michel Laffitte, notamment un passage où il explique que les Allemands, dans leur grand désir d'établir une société juive séparée («Les retrancher de la nation française»), veulent créer des bibliothèques et des hôpitaux juifs, un cinéma aussi. Ils ont déjà choisi la salle qu'ils veulent convertir, Ciné-Rire, rue Caumartin, et ont demandé à un certain Albert Modiano d'en être le directeur. Est-ce le père de Patrick ? Il y avait à l'époque deux Albert Modiano à Paris. Rien n'est donc sûr mais, en attendant, Patrick Modiano et Michel Laffitte se sont rencontrés plusieurs fois, et c'est Laffitte qui a suggéré à l'éditeur de demander une préface à Modiano. Dans ces onze pages, il raconte comment il a mis ses pas dans les pas d'Hélène du côté du Luxembourg. Il écrit aussi : «Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis, mais nous sommes, à chaque page, avec elle, au présent. Elle qui se sentait parfois si seule dans le Paris de l'Occupation, nous l'accompagnons jour après jour. Sa voix est si proche, dans le silence de ce Paris-là.»

(1) Préfacé par Annette Wieviorka, Tallandier, 2006.

(2) Notamment Jean Samuel, qui a croisé Raymond Berr à Auschwitz et a rencontré ses petites-filles après guerre, comme il le dit dans Il m'appelait Pikolo. Un compagnon de Primo Levi raconte, qui vient de sortir chez Robert Laffont.

 

 

 
 Le Point.fr
   

 

Publié le 20/12/2007 N°1840

 

Hélène Berr, l'autre Anne Frank

 

C'est l'événement de la rentrée. Le 3 janvier paraît aux éditions Tallandier le journal bouleversant d'une jeune Parisienne juive, Hélène Berr, morte à Bergen-Belsen, en avril 1945.

François Dufay

 

C'est une jeune morte, revenue nous hanter du plus loin de l'oubli. Née à Paris en 1921, morte en déportation en 1945, Hélène Berr n'était jusqu'ici qu'un nom parmi des dizaines de milliers d'autres, gravé sur la pierre d'un mémorial. De sa vie abrégée il ne restait que quelques photos montrant une étudiante au regard ardent, un violon sur lequel elle jouait des sonates de Mozart, et un pauvre canif, qui l'aida quelque temps à survivre dans l'enfer d'Auschwitz.

Et voici qu'en ce début d'année resurgit le journal intime qu'a tenu cette jeune Parisienne entre 1942 et 1944. Ce document exceptionnel, conservé par la famille d'Hélène Berr et déposé depuis 2002 au Mémorial de la Shoah, est publié par les éditions Tallandier, avec une préface de Patrick Modiano ( voir page 89 ) . Née dans une famille juive de vieille souche française , Hélène Berr préparait l'agrégation d'anglais. Dans son journal truffé de citations de Shakespeare ou de Lewis Carroll, la guerre n'est d'abord qu'un mauvais rêve, qu'elle parvient à oublier le temps d'une « journée parfaite » à cueillir des framboises, dans la maison de campagne familiale. Face à l'horreur des temps, l'étudiante en Sorbonne se raccroche aux après-midi de soleil, aux poésies de Shelley, aux journées passées en bibliothèque à flirter avec les garçons. Le port de l'étoile jaune, imposé en juin 1942, est une première cassure. Hélène a tout noté : son désarroi, les gestes de solidarité des Parisiens dans le métro, le zèle du contrôleur qui la refoule dans le wagon de queue, réservé aux juifs. Puis vient l'arrestation de son père, qu'on arrive, moyennant une rançon, à tirer de Drancy.

Interdite d'agrégation par les lois raciales, Hélène devient assistante sociale bénévole à l'Union générale des israélites de France (Ugif), organisme communautaire servant d'interface avec l'occupant. Tragique malentendu : certains croient qu'elle recherche l'immunité-toute relative-que procure cette fonction, alors que, lucide, elle se refuse à fuir. Elle qui se sent si seule depuis le départ de Jean, son fiancé engagé dans la France libre, se dévoue aux orphelins juifs, qu'elle promène dans les rues de Paris, petite troupe pathétique promise à l'abattoir. Elle oeuvre aussi à leur sauvetage, mais doit taire cette activité clandestine, même dans son journal.

Au fil des rafles, des déportations et des rumeurs-wagons plombés, usage de gaz asphyxiants en Pologne-, l'angoisse devient suffocante. L'incompréhension, voire l'insensibilité, des non-juifs la tourmente. Son seul réconfort est de savoir que, confié à une fidèle employée de maison, son journal lui survivra : « Je sais pourquoi j'écris ce journal, je sais que je veux qu'on le donne à Jean si je ne suis pas là lorsqu'il reviendra. Je ne veux pas disparaître sans qu'il sache tout ce que j'ai pensé pendant son absence. » Arrêtée avec son père et sa mère le 8 mars 1944, déportée le jour de ses 23 ans à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, Hélène Berr y est morte en avril 1945, peu de temps après Anne Frank, du typhus ou battue à mort, selon les témoignages. A la date du 15 février 1944, son journal intime s'était interrompu sur cette citation empruntée à Shakespeare, « Horror, horror, horror » .

 

Histoire du journal

Le « Journal » d'Hélène Berr se présente sous la forme de 262 feuillets volants, couverts à l'encre bleue ou noire et au crayon d'une fine écriture qui se fait de plus en plus hâtive au fil des pages. C'est Mariette Job, nièce d'Hélène Berr et ancienne libraire, qui, connaissant ce texte par des copies circulant dans sa famille, a retrouvé le manuscrit original : selon le voeu d'Hélène, il avait été remis après la guerre à Jean Morawiecki, son fiancé, et était resté entre ses mains. Aujourd'hui âgé de 86 ans, Jean Morawiecki a fait carrière dans la diplomatie. Il a institué Mariette Job légataire du journal. En 2002, le document a fait l'objet d'une donation au Mémorial de la Shoah, à Paris, où une vitrine est consacrée au destin tragique de la jeune femme. Une présentation publique du texte, lu par une comédienne, sera organisée le 7 février au Mémorial.

Extraits

Le premier jour où Hélène a porté l'étoile jaune. Le 29 mai 1942, une ordonnance allemande impose aux juifs le port de l'étoile jaune. Le lundi 8 juin, Hélène Berr la porte pour la première fois, fixée à sa boutonnière par un bouquet tricolore. Le soir elle note dans son journal :

Lundi soir

Mon Dieu, je ne croyais pas que ce serait si dur. J'ai eu beaucoup de courage toute la journée. J'ai porté la tête haute, et j'ai si bien regardé les gens en face qu'ils détournaient les yeux. Mais c'est dur. D'ailleurs, la majorité des gens ne regarde pas. Le plus pénible, c'est de rencontrer d'autres gens qui l'ont. Ce matin, je suis partie avec Maman. Deux gosses dans la rue nous ont montrées du doigt en disant : « Hein ? T'as vu ? Juif. » Mais le reste s'est passé normalement. Place de la Madeleine, nous avons rencontré M. Simon, qui s'est arrêté et est descendu de bicyclette. J'ai repris toute seule le métro jusqu'à l'Etoile. A l'Etoile, je suis allée à l'Artisanat chercher ma blouse, puis j'ai repris le 92. Un jeune homme et une jeune fille attendaient, j'ai vu la jeune fille me montrer à son compagnon. Puis ils ont parlé.

Instinctivement, j'ai relevé la tête-en plein soleil-, j'ai entendu : "C'est écoeurant." Dans l'autobus, il y avait une femme, une maid [domestique] probablement, qui m'avait déjà souri avant de monter et qui s'est retournée plusieurs fois pour sourire ; un monsieur chic me fixait : je ne pouvais pas deviner le sens de ce regard, mais je l'ai regardé fixement.

Je suis repartie pour la Sorbonne ; dans le métro, encore une femme du peuple m'a souri. Cela a fait jaillir les larmes à mes yeux, je ne sais pourquoi. Au Quartier latin, il n'y avait pas grand monde. Je n'ai rien eu à faire à la bibliothèque. Jusqu'à quatre heures, j'ai traîné, j'ai rêvé, dans la fraîcheur de la salle, où les stores baissés laissaient pénétrer une lumière ocrée. A quatre heures, J. M. [Jean Morawiecki] est entré. C'était un soulagement de lui parler. Il s'est assis devant le pupitre et est resté là jusqu'au bout, à bavarder, et même sans rien dire. Il est parti une demi-heure chercher des billets pour le concert de mercredi ; Nicole est arrivée entre-temps.

Quand tout le monde a eu quitté la bibliothèque, j'ai sorti ma veste et je lui ai montré l'étoile. Mais je ne pouvais pas le regarder en face, je l'ai ôtée et j'ai mis le bouquet tricolore qui la fixait à ma boutonnière. Lorsque j'ai levé les yeux, j'ai vu qu'il avait été frappé en plein coeur. Je suis sûre qu'il ne se doutait de rien. Je craignais que toute notre amitié ne fût soudain brisée, amoindrie par cela. Mais après, nous avons marché jusqu'à Sèvres-Babylone, il a été très gentil. Je me demande ce qu'il pensait. [...]

Mardi 9 juin

Aujourd'hui, cela a été encore pire qu'hier.

Je suis éreintée comme si j'avais fait une promenade de cinq kilomètres. J'ai la figure tendue par l'effort que j'ai fait tout le temps pour retenir des larmes qui jaillissaient je ne sais pourquoi.

Ce matin, j'étais restée à la maison, à travailler du violon. Dans Mozart, j'avais tout oublié.

Mais cet après-midi tout a recommencé, je devais aller chercher Vivi Lafon à la sortie de l'agreg [l'agrégation d'anglais] à deux heures. Je ne voulais pas porter l'étoile, mais j'ai fini par le faire, trouvant lâche ma résistance. Il y a eu d'abord deux petites filles avenue de La Bourdonnais qui m'ont montrée du doigt. Puis, au métro à l'Ecole-Militaire (quand je suis descendue, une dame m'a dit : « Bonjour, mademoiselle »), le contrôleur m'a dit : « Dernière voiture. » Alors, c'était vrai le bruit qui avait couru hier. Cela a été comme la brusque réalisation d'un mauvais rêve. Le métro arrivait, je suis montée dans la première voiture. Au changement, j'ai pris la dernière. Il n'y avait pas d'insignes. Mais rétrospectivement, des larmes de douleur et de révolte ont jailli à mes yeux, j'étais obligée de fixer quelque chose pour qu'elles rentrent.

Je suis arrivée dans la grande cour de la Sorbonne à deux heures tapantes, j'ai cru apercevoir Molinié au milieu, mais, n'étant pas sûre, je me suis dirigée vers le hall au bas de la bibliothèque. C'était lui, car il est venu me rejoindre. Il m'a parlé très gentiment, mais son regard se détournait de mon étoile. Quand il me regardait, c'était au-dessus de ce niveau, et nos yeux semblaient dire : « N'y faites pas attention. » Il venait de passer sa seconde épreuve de philo.

Puis il m'a quittée et je suis allée au bas de l'escalier. Les étudiants flânaient, attendaient, quelques-uns me regardaient. Bientôt, Vivi Lafon est descendue, une de ses amies est arrivée et nous sommes sorties au soleil. Nous parlions de l'examen, mais je sentais que toutes les pensées roulaient sur cet insigne. Lorsqu'elle a pu me parler seule, elle m'a demandé si je ne craignais pas qu'on m'arrache mon bouquet tricolore, et ensuite elle m'a dit : « Je ne peux pas voir les gens avec ça. » Je sais bien ; cela blesse les autres. Mais s'ils savaient, eux, quelle crucifixion c'est pour moi. J'ai souffert, là, dans cette cour ensoleillée de la Sorbonne, au milieu de tous les camarades. Il me semblait brusquement que je n'étais plus moi-même, que tout était changé, que j'étais devenue étrangère, comme si j'étais en plein dans un cauchemar. Je voyais autour de moi des figures connues, mais je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C'était comme si j'avais eu une marque au fer rouge sur le front. [...]

Visite au père d'Hélène, en partance pour Drancy

Vice-président de l'entreprise Kuhlmann, Raymond Berr, père d'Hélène, a été arrêté le 23 juin 1942 sous prétexte que son étoile jaune était agrafée et non cousue. Sa famille obtient de le voir à la préfecture de police avant son départ pour Drancy :

A partir du moment où Papa est entré, il m'a semblé brusquement que l'après-midi se raccrochait automatiquement à ce passé si récent où nous étions tous ensemble, et que tout le reste n'était qu'un cauchemar. Cela a été en quelque sorte une accalmie, une éclaircie avant l'orage. Quand j'y réfléchis maintenant, je m'aperçois que cela a été une bénédiction. Nous avons revu Papa après la première phase de la tragédie, après l'arrestation. Il nous l'a racontée. Nous avons vu son sourire.

Nous l'avons vu partir avec le sourire. Nous savons tout et j'ai l'impression qu'ainsi nous sommes encore plus unis, qu'il est parti pour Drancy lié encore plus étroitement à nous.

Il est entré avec son sourire radieux, prenant la situation au comique : il était sans cravate, et au début cela m'a donné un choc, on l'avait déjà dénudé en deux heures. Papa sans cravate ; il avait l'air d'un « détenu », déjà. Mais cela a été fugitif. L'un des employés, avec des excuses, lui a dit qu'il allait lui rendre sa cravate, ses bretelles et ses lacets. Tous riaient. L'agent nous expliquait pour nous rassurer que c'était un ordre car hier un détenu avait essayé de se pendre. [...]

Il y avait quelque chose de comique dans cette scène, où le détenu était Papa, où les autorités étaient pleines de respect et de sympathie. On se demandait ce que nous faisions tous là.

Mais c'est parce qu'il n'y avait pas d'Allemands. Le sens plein, le sens sinistre de tout cela ne nous apparaissait pas, parce que nous étions entre Français.

J'oublie de noter les détails donnés par Papa sur son arrestation, c'est tout ce que j'ai su et je n'en saurai pas plus avant de le revoir. Il est en effet allé rue de Greffulhe, et ensuite avenue Foch, où un officier (moi, j'ai compris un soldat) boche s'est jeté sur lui en l'accablant d'injures ( schwein [sale porc], etc.) et lui a arraché son étoile, en disant : « Drancy, Drancy ». C'est tout ce que j'ai entendu. Papa parlait d'une façon assez entrecoupée, à cause de toutes les questions que nous lui posions.

A un moment, j'ai remarqué une plus grande animation. [...] La porte s'est ouverte, et trois femmes sont entrées, la mère, une grosse blonde vulgaire, la fiancée et une autre qui devait être la soeur, on a introduit le détenu, un jeune homme très brun, qui avait une beauté un peu sauvage, c'était un juif italien, inculpé pour hausse illicite [marché noir], je crois. Ils se sont tous assis sur le banc de bois. A partir de ce moment, il y a eu du tragique dans l'atmosphère. En même temps, nous étions, tous les quatre ensemble, tellement éloignés de ces pauvres gens, que je n'arrivais plus à concevoir que Papa fût arrêté aussi. »

Propos recueillis par François Dufay

 

LINK: Wikipedia

 

Saturday November 8 2008 00.01 GMT

'We must not forget'

Carmen Callil is moved by the testimony of a young Frenchwoman who was killed in Belsen

Carmen Callil

 

Journal by Hélène Berr, Translated by David Bellos, 300 p., Maclehose Press

 

There are some books that are great, not because their writers were born for literary success, but because circumstances force upon them the writing of a truly great book. Such a one is Hélène Berr's Journal. To clarify its profound effect, Primo Levi's If This Is a Man first comes to mind. But perhaps it is Nadezhda Mandelstam's Hope Against Hope that best gives the measure of the achievement of this exceptional book, because, like that record of Stalin's mass terror, Berr's Journal is an account of living in profound anguish and fear, day by day, in German-occupied Paris during the second world war. For two years she bore witness to horrific and tragic events, waiting with her family for the knock at the door, knowing what was to come, and writing, in simple and sometimes enchanting prose, of monstrous men and monstrous events.

When France fell in June 1940, Germany allotted two-fifths of it to be ruled by the soldier who had capitulated to them, Marshal Philippe Pétain. He settled his puppet kingdom in the spa town of Vichy in central France. To the north, divided by a ruthlessly invigilated demarcation line, lay the occupied zone, under Nazi control, with Paris as its capital. Within four months, Pétain and his Vichy government issued the first of their statutes on the Jews — designed to rid the French body politic of Jewish influence in every sphere of public life, and, most important, to remove from the Jews of France whatever wealth republican France had permitted them to acquire over the centuries.

Vichy demanded civic and financial exclusion for its Jewish population, not death. This, however, applied only to "old French Jews" — those who had lived in and fought for France since the revolution. The others, mostly refugees from the fascist states of Europe, were considered "foreign Jews". These, Vichy was happy to see deported "to the east".

Berr was born in Paris on March 27 1921, the fourth child and fourth daughter of Raymond and Antoinette Berr, resident in France for so many generations that such religious Judaism as they professed was minimal: they were French people of enormous culture, generosity and grace. Raymond Berr was a prominent industrialist and scientist, and a decorated French soldier of the first world war. The Berr home was a notable centre of hospitality, a salon almost, centred on what the society devoted to the memory of Raymond Berr describes as a family life "dedicated to the worship of beautiful things".

Hélène Berr begins her Journal on April 7 1942 . Four weeks later, on May 5, Reinhard Heydrich arrived in Paris to issue instructions as to the exact number of Jews who were to be sent from France to the Nazi death camps. The figure the Nazis had allotted to France was 850,000 Jews. There were only about 330,000 Jews in France. This led to a ferocious battle between the Vichy government and the Nazi occupiers over the dispatch of Jewish immigrants and the old French Jews Vichy wished to protect. It was in the pursuit of the correct numbers for each cattle truck that so many French children — 11,400 — were sent by the French to Auschwitz.

Because she was the daughter of such an old French Jewish family, Berr survived until three months before the liberation of Paris. This makes her Journal even more important. She saw so much. Arrested with her parents on March 8 1944, she was deported on her 23rd birthday, survived nearly eight months of Auschwitz and five months of Bergen-Belsen before, struck down by typhus, she was beaten to death five days before the British liberated the camp in April 1945. Her mother was gassed in Auschwitz a month after her arrest, her father murdered there five months later.

This describes Berr's fate, but it is not the story, which she tells, most beautifully, in the pages of her Journal. She is 21, a student of English at the Sorbonne, a gifted violinist, a very pretty young woman (the photographs in the book bear witness to this), in love with English literature, music, nature and the world in general — and possibly with Gérard, to whom, perhaps, she has pledged her troth. The early pages of the diary reveal all the fluttering sensibilities of a young woman with everything to hope for. A dreamy girl one day, she is sharp as a tack on another. She goes to lectures, plays and listens to Bach and Chopin, drowns herself in Keats and Shakespeare, Shelley and Winnie the Pooh, takes enraptured breaks in the family country home, flirts, guiltily, with this one or that, and is subject to fits of crying and greed: "Tea was lavish, there was wonderful ice cream." The transfer of her affections from the difficult Gérard to her beloved Jean, "that boy with grey eyes", is a most perfect account of how such matters of the heart occur at that age.

On Monday June 8 1942, the change begins. It is the first day she has to wear the yellow star. From this date on, the considerable pleasures of Berr's life alternate with the torture each new rule the German and French state imposed upon her. "My God, I never thought it would be so hard," she writes. But it is more than hard, it becomes a torment. The next day she learns that she can travel only in the last carriage of the metro. They are not permitted to cross the Champs Elysées, enter theatres or restaurants. Shopping is restricted. Then the massive roundups and deportations begin. It is French gendarmes, French station masters who impose these new conditions. She notes how it offends so many of her fellow French citizens. "Men and women look at you with such goodness ... There's the awareness of being above the brutes who make you suffer, and at one with real men and women."

At this point, but extending into the following two years, we enter the world of Irène Némirovsky's Suite Française. The sufferings are the same, the threats are the same; the difference is, being a foreign Jew, Némirovsky was deported almost immediately, whereas Berr, belonging to the caste whom Vichy regarded as almost human, was kept until the very end. And so there are many entries in which Berr "made jam and talked nonsense" with her friends.

From the beginning of the horror, she debates the biggest question. Why does she stay? Her answer, and that of her parents, is that it would be cowardice to go, "cowardly towards the other internees, and the wretched poor", but also cowardice towards her supreme belief in the importance of resisting. "No," she writes, "I'll do something."

One of the worst aspects of Nazi occupation in Europe was its insistence that the Jewish community should service and pay for their own imprisonment, deportation and death. The Vichy association was UGIF (Union Générale des Israélites de France) and for this and other more clandestine networks Berr worked, saving children, hiding children, attending to those left behind each time the cattle trains departed. And so Berr's journal becomes a unique chronicle of the practical details of the French Holocaust. Each day, each entry provides a rare portrait of what it was like for such terrible things to happen to ordinary human beings. It records the war crimes of Germany and of a certain part of France, but throughout the Journal, Berr knows exactly the truth of what she sees. Always she can make fine distinctions between the innocent and the guilty: her journal entry for October 11 1943 demolishes any claims to innocence that can still be heard as to the role of Pope Pius XII and the Catholic hierarchy in the Holocaust.

Because of the heartbreaking story she tells, Berr's Journal could be difficult to read. But it is not. Like the diary of Anne Frank, Journal is ultimately an uplifting book, because in its pages we meet not so much a great writer — though her prose is fine and elegant — as a human being whose heart is great. Overwhelmed, she feels no "hatred", just "protest, revulsion and scorn". She notes the talk about "asphyxiating gas" awaiting "the convoys at the Polish border". She longs to live but faces squarely how she might die. Nevertheless, an extraordinary thread of hope — in goodness, in humanity — runs through her Journal.

What a loss she was! Again and again she writes: "I write to show people later on what these times are like," and "We must not forget." Publication of her Journal in France in 2008 means that this can never happen.

 

Carmen Callil's Bad Faith: A Forgotten History of Family and Fatherland is published by Vintage.

 

 

Michael Dirda on 'The Journal of Helene Berr'

 

A girlish diary that turned into a chilling record.

By Michael Dirda

Sunday, November 23, 2008

 

THE JOURNAL OF HÉLÈNE BERR

Translated from the French by David Bellos

Weinstein. 307 pp. $24.95

 

The Journal of Hélène Berr is a relatively late addition to that most sorrowful of genres, one that should never have come to exist: Holocaust literature. Its title subtly recalls the most famous testimony to the horror of life under Nazi domination, The Diary of Anne Frank. As it happens, these two vital and deeply appealing diarists described precisely the same period -- 1942 to 1944 -- but with a significant difference: While the adolescent Frank hid in her secret rooms in Amsterdam, Berr carried on with her life as a university student in occupied Paris. At least for a while. Ultimately, though, both shared the same fate: death at Bergen-Belsen in 1945. The two young women were imprisoned there at the same time. They might have met.

As the journal begins in the spring of 1942, Hélène Berr picks up a package left with a Paris concierge. France's most distinguished poet has kindly inscribed one of his books to her: "On waking, so soft is the light and so fine this living blue, Paul Valery." The next day Berr records that she and her friends are planning a picnic to her family's country place at Aubergenville. In Paris itself life consists of English classes, evenings of chamber music (Bach, Schumann, Chopin), visits to bookshops, the reading of Russian novels or romantic poetry. Berr confesses that she might be in love with a young man named Gérard -- until she meets a fellow student named Jean Morawiecki. Her heart is suddenly torn. Full of emotional confusion, the 20-year-old finds refuge in the study of Old English. A dozen pages of the journal go by before there is any mention of the Germans.

After all, why discuss such unpleasantness? Hélène Berr belongs to a privileged family and class, her father being the eminent and valued managing director of Etablissements Kuhlmann, an important chemical company. Though Jewish, the Berrs are thoroughly French -- and haut-bourgeois -- in their outlook and culture. They certainly have almost nothing in common with the lower-class and sometimes now stateless émigré Jews occasionally being detained by the Germans. One could hardly imagine that such people and the elegant Berrs belonged to the same race -- at least not until the edict of May 29, 1942, ordering all Jews to wear a yellow star.

At first Berr hesitates, considering it "degrading," but ultimately she changes her mind out of a brave sense of solidarity. Her pages about publicly displaying this hateful insignia are both piteous and shocking:

"I was very courageous all day long. I held my head high, and I stared at other people so hard that it made them avert their eyes. But it's difficult . . . This afternoon it all started over again. I had to fetch Vivi Lafon from her English exam at 2:00. I did not want to wear the star, but I ended up doing so, thinking my reluctance was cowardly. First of all there were two girls in avenue de La Bourdonnais who pointed at me. Then at Ecole Militaire métro station . . . the ticket inspector said: 'Last carriage.' . . . I suddenly felt I was no longer myself, that everything had changed, that I had become a foreigner, as if I were in the grip of a nightmare. I could see familiar faces all around me, but I could feel their awkwardness and bafflement." It's all horrible, she knows, but then she thinks about Jean. The shy couple take walks, listen to records together, visit each other's families . . . and suddenly life is beautiful again. Berr is any young woman in love with a young man who loves her.

But one evening she arrives home to discover that her father has been arrested. Raymond Berr spends three months in Drancy, an internment camp near Paris. Berr, her mother and sister visit, and they notice the working-class Jews all around them in the visitor's room. "The four of us were so distant from those poor folk that we could hardly conceive that Papa was a prisoner too." But Papa is a prisoner too, and slowly Berr's consciousness begins to alter.

Etablissements Kuhlmann eventually pays a ransom to have Raymond Berr released, and the family continues its life in Paris. Some of their friends escape to Vichy France, and yet the Berrs decide to stay put, out of a sense of dignity, steadfastly refusing to be cowardly, believing it important to stand together with other Frenchmen. Berr herself touchingly confesses that it's "because of him [Jean] that I do not want to leave." Everyone is in denial. Nobody can quite believe that worse is yet to come.

Then it is announced that "Jews are no longer entitled to cross the Champs-Elysées. Theaters and restaurants are off-limits." Neighbors begin to warn the family about a series of roundups. Hélène Berr starts to record what she hears as well as sees:

"In Mlle Monsaingeon's neighborhood, a whole family, the father, the mother, and five children, gassed themselves to escape the roundup.

"One woman threw herself out of a window.

"Apparently several policemen have been shot for warning people so they could escape. They were threatened with the concentration camp if they failed to obey."

More and more, Berr regards her journal as an aide-memoire, almost a reporter's notebook: "I'm not even keeping this diary anymore, I've no willpower left, I'm just putting down the salient facts so as to remember them."

Take their young friend Pironneau. "Maman has gotten the details of his execution. It was on the day of the great parade, he was taken off at 7:00 A.M., with another man, in the prison van, with their coffins. There was nobody there to shoot them; they had to wait until 3:00 in the afternoon for a 'volunteer' to come and shoot them, obliging one of them to witness the other's death."

Somewhat to her own surprise, Berr admits to a growing visceral hatred of the Krauts -- and to anger at the frequent indifference of non-Jewish Parisians. She begins to work part-time at a Jewish-run agency intended to help deportees and their families, soon taking homeless children under her wing, even organizing a scout troop. Suddenly, Jean announces that he is leaving to join Charles de Gaulle's Free French.

At this point Hélène Berr stops writing in her journal for some 10 months, starting again only in the fall of 1943. Sadly, the once high-spirited young woman, full of plans for a life of scholarship and learning, dreaming of happiness with the man she loves, has virtually disappeared. The voice is somber now, philosophical, that of a mature woman who recognizes that death in a concentration camp is her most likely future. Berr's only aim, until arrested, is to bear witness:

"I have a duty to write because other people must know. Every hour of every day there is another painful realization that other folk do not know, do not even imagine, the suffering of other men, the evil that some of them inflict. And I am still trying to make the painful effort to tell the story. Because it is a duty, it is maybe the only one I can fulfill." To ensure at least her journal's survival, she passes along sections to the household cook, asking her to save the pages for Jean. Berr still daydreams about him, even imagines him reading the very page she is writing. But so much has been lost. "If only I could laugh! Jean liked laughing so much. Before, I used to laugh. Nowadays a sense of humor feels like sacrilege."

Still, Berr periodically strives to maintain a semblance of her old existence, fighting off despair to imagine that she will somehow survive. She studies and frequently quotes her beloved Keats, transcribes the reflections on World War I of the novelist Roger Martin du Gard, plays music, even reads Winnie-the-Pooh and retells Kipling's "Rikki Tikki Tavi" to her young orphans. But she also finds herself loathing the barbaric Germans, who "dared to claim that I was not French." And the horrible stories continue. Thirteen children from an orphanage are seized to make up the required 1,000 deportees for a convoy to the "East." So many people have been killed, Berr writes, that "we have almost stopped grieving for the dead." Her cousin, who is also her best friend, disappears into a concentration camp. "How many souls of infinite worth, repositories of gifts others should have treated with humility and respect, have been similarly crushed and broken by Germanic brutality?" For a long time, she cannot fathom why children and pregnant women are being seized by the Germans, until she finally recognizes the truth and sets it down: "They have one aim, which is extermination."

On March 8, 1944, at 7:30 in the morning, there was a knock at the door to the family's apartment. Raymond and Antoinette Berr died later that year in Auschwitz. Hélène Berr nonetheless managed to survive and in 1945 was transferred to Bergen-Belsen, where she grew sick from typhus and was then brutally beaten to death just five days before the camp was liberated by the British.

David Bellos, the translator and biographer of Georges Perec, as well as a professor of French and comparative literature at Princeton, has created an exemplary American edition of Berr's journal. It includes maps, an introductory essay, a memoir by Berr's niece Mariette Job, a brief history of "France and the Jews" (by Bellos), and a half-dozen useful lists of books, acronyms, names and places. The Journal of Hélène Berr has been an immense bestseller in Europe and deserves comparable success in this country. This, alas, is how it truly was when good people were heartlessly abused and their lives were ruthlessly taken from them. ·