10-8-2000

 

BORIS VIAN
(1920-1959)

 

    

 

Le déserteur


Monsieur le Président,

je vous fais une lettre,

que vous lirez peut-être,

si vous avez le temps.

Je viens de recevoir

mes papiers militaires

pour partir à la guerre

avant mercredi soir.

Monsieur le Président

je ne veux pas le faire,

je ne suis pas sur terre

pour tuer de pauvres gens.

C'est pas pour vous fâcher,

il faut que je vous dise,

ma décision est prise,

je m'en vais déserter.


 

Depuis que je suis né,

j'ai vu mourir mon père,

j'ai vu partir mes frères,

et pleurer mes enfants.

Ma mère a tant souffert,

qu'elle est dedans sa tombe,

et se moque des bombes,

et se moque des vers.

Quand j'étais prisonnier

on m'a volé ma femme,

on m'a volé mon âme,

et tout mon cher passé.

Demain de bon matin,

je fermerai ma porte

au nez des années mortes

j'irai sur les chemins.



Je mendierai ma vie,

sur les routes de France,

de Bretagne en Provence,

et je crierai aux gens:

refusez d'obéir,

refusez de la faire,

n'allez pas à la guerre,

refusez de partir.

S'il faut donner son sang,

allez donner le vôtre,

vous êtes bon apôtre,

monsieur le président.

Si vous me poursuivez

prévenez vos gendarmes

que je n'aurai pas d'armes

et qu'ils pourront tirer.


- 15 Fév. 1954 -



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