6-10-2003

 

Catherine Pozzi

(1882 - 1934)

 

 

 

Née en 1882 dans une famille brillante et cultivée, Catherine Pozzi a fréquenté les esprits les plus marquants de son époque. Sa liaison avec Paul Valéry, rencontré en 1920 alors qu’elle était en train de se séparer d’Édouard Bourdet, la bouleverse, la comble et la détruit – ce sont huit années de communion totale et de disputes déchirantes. Amie de Rainer Maria Rilke, de Julien Benda, de Daniel Halévy, d’Anna de Noailles, de Jean Paulhan et de bien d’autres, elle meurt, minée par la tuberculose, en 1934.

 
Catherine Pozzi, shown here at age 18, grew up in a prominent Parisian family
 

 

Catherine Pozzi

Journal 1913-1934

Fille du docteur Samuel Pozzi - chirurgien, homme du monde et poète parnassien à ses heures -, Catherine Pozzi, née en 1882, a grandi dans le giron du Tout-Paris aristocratique et bourgeois de la fin du siècle dernier. À vingt-cinq ans, elle épousa Édouard Bourdet, futur « auteur applaudi des Boulevards » ; très rapidement, le couple se déchira. Quelques années après la naissance, en 1909, de son fils Claude, elle devint tuberculeuse… Elle apprit alors, avec la méthode et le désordre de qui sait son temps compté, l’histoire de la philosophie et des religions, les mathématiques, les sciences : elle passera son baccalauréat à trente-sept ans pendant la guerre, divorcera et rencontrera, en 1920, celui qui fut sa plus belle chance et son plus dur échec, son « très haut Amour » et son « Enfer », Paul Valéry.
Au terme de huit années d’une liaison presque secrète, mais terriblement exigeante, riche d’une réflexion commune et quotidienne, mais douloureuse et dévastatrice pour tous deux, Catherine Pozzi rompt avec le « Prince des Poètes » : elle perd ainsi son lien le plus puissant avec le Paris des Salons, hanté par les figures d’Edmée de La Rochefoucauld, d’Anna de Noailles, de Mme Mühlfeld, de Colette, de Henri de Régnier, et avec le Paris de la politique, du journalisme et des lettres.
Désormais, c’est une solitude noire et fiévreuse, traversée de quelques amitiés amèrement fidèles : Julien Benda, Jean Paulhan, Pierre Jean Jouve, Jean Guéhenno, Ernst Robert Curtius, Jacques Maritain, Charles Du Bos… Désormais, c’est la maladie qui accentue ses ravages, exténuant à coups de morphine, de laudanum, le corps frêle et les nerfs à vif. Elle meurt en 1934.

Catherine Pozzi est l’auteur d’une nouvelle autobiographique anonyme, Agnès ( La NRF, 1927 ), que l’on attribua parfois à Paul Valéry, et de six Poèmes ( Mesures, 1935 ) que l’on compara à ceux de Louise Labé. Elle travailla également à un essai philosophique, Peau d'Ame ( Corrêa,1935 ), resté inachevé. De 1913 à sa mort, elle tint son Journal : une quarantaine de cahiers écrits avec une intransigeance, une intelligence et une difficulté d’être absolues.

 

Texte établi et annoté par Claire Paulhan. Préface de Lawrence Joseph, auteur d’une biographie de Catherine Pozzi, Une robe couleur du temps ( Éditions de La Différence, 1988 ).
1 cahier de photographies n. & b. Index des personnes citées.
Édition originale chez Ramsay, en novembre 1987. Réédition chez Seghers, en mars 1990. Reprise en 1997, sous nouvelle couverture rempliée rouge, par les Éditions Claire Paulhan.
17, 5 x 22, 5 cm. 678 pages. Isbn : 2-912222-07-9.
 

 

Catherine Pozzi et Jean Paulhan
Correspondance 1926-1934

 

Au sujet de Catherine Pozzi ( 1882-1934 ), Jean Paulhan écrivait au jeune Dominique de Roux, vers 1963 : « Karin Pozzi était une grande jeune femme, gracieuse et laide, qui fut la femme de É[douard] Bourdet, la mère de Claude B[ourdet] et la maîtresse de Valéry ( à qui s’adresse le poème “ la grande amour… ” ) Elle n’a pas écrit d’autres poèmes que ceux-là, mais une sorte d’essai métaphysique : Peau d’âme ( chez Buchet ) et deux ou trois notes qui ont paru dans la nrf ( une sur Julien Lanoë ). Ah, et un admirable récit, Agnès ( nrf ). » Presque quarante ans plus tôt, Jean Paulhan, nommé depuis peu rédacteur en chef de La Nouvelle Revue Française, avait fait la connaissance de cette femme fragile et tuberculeuse, énigmatique et hautaine - alors la maîtresse de Paul Valéry - qui venait de refuser de signer de son nom son premier texte publié, Agnès. Du cryptage compliqué des premiers temps ( 1926-1927 ) aux dérobades de l’écrivain avéré ( 1930-1932 ), jusqu’aux tensions et malentendus ( 1932-1934 ) autour d’une œuvre inachevée de Catherine Pozzi, Peau d’Ame, cette correspondance croisée entre un auteur hypersensible et son éditeur pressant et intrigué donne à comprendre la difficulté croissante d’une relation que son Journal 1913-1934 laissait déjà transparaître : chaque nouvel écrit de Catherine Pozzi, envoyé « à l’ami, non au grand Directeur », est l’occasion d’une nouvelle crise d’incompréhension mutuelle. « Il y a tant de raisons d’écrire, outre celle de publier, expliquait Catherine Pozzi à Jean Paulhan, dans sa lettre du 10 juin 1931. Par exemple exalter la conscience, l’attention ; tracer un chemin ; son chemin ; détruire ; croître. Et tout se ramène à une certaine forme de vie, qui est l’œuvre par excellence, et dont, peut-être, la chose écrite se détacherait plus naturellement et moins perceptiblement s’il était admis qu’en effet la vie soit l’œuvre. Cette opinion est d’ailleurs démodée, tout athénienne qu’elle soit. »

 

Texte établi, introduit, annoté et « épilogué » par Françoise Simonet-Tenant.
Chronologie croisée. Bibliographies de C. Pozzi & de J. Paulhan. Annexes. Index des noms et titres cités. Portrait de C. Pozzi par Jean Marchand. Portrait de J. Paulhan par Paul-Émile Bécat. Lettres et documents reproduits en fac-similés.
Édition originale, en avril 1999. Tirage à 800 exemplaires sur Centaure ivoire 90 gr., sous couverture rempliée saumon.
13 x 21, 5 cm. 216 pages. Isbn : 2-912222-06-0.

 

 

F  R  A  N  C  E  

                    M  A  G  A  Z  I  N  E

 

N.º 65 – Spring 2003

Sensual Intellect
Rediscovering the poetry of Catherine Pozzi

 

     Catherine Pozzi (1882-1934) is unjustly remembered more for her tumultuous liaison with Paul Valéry than for her exalted story Agnès (1927), her philosophical essay Peau d’âme (1935) or her love and metaphysical poems, first published after her death simply as Poèmes (1935). Fortunately, however, this mysterious writer has benefited from two energetic advocates in our day: critic and publisher Claire Paulhan and biographer Lawrence Joseph, who recently retired from Smith College. Ever since the late 1980s, Paulhan, Joseph and a few other enthusiasts have labored to keep Pozzi’s prose and poetry in print and to bring to light unknown writings. Together they have deepened critical perspectives on the life and work of a woman who was befriended and admired by the likes of Rainer Maria Rilke and André Gide. Recently Gallimard published Paulhan and Joseph’s richly annotated edition of Pozzi’s collected poems: Très haut amour, poèmes et autres textes. This slim volume deserves a wide readership.

   

Catherine Pozzi

 

    The poem “Ave” alone should assure a lofty place for Pozzi in the history of French poetry. In this poem, the salient theme of pure love—l’amour absolu—magnificently coalesces with metaphysical, cosmological, even mathematical concerns. Addressing her lover, a woman imagines herself dead, in the future, which is to say “lost / And divided to abysmal infinity, / Infinitely.” Yet her surviving lover will still be able to envisage her as a radiant soul, a “living unity that is faceless, nameless,” the “center of the mirage.”
    Like the 16th-century poets whom she studied closely, Pozzi sets elevated amorous sentiments against a philosophical backdrop. She attempts to heal what her contemporary T. S. Eliot famously called the “dissociation of sensibility,” the separation of thinking and feeling which, in his view, set in during the 17th century and “from which we have never recovered.” Poems such as “Ave,” “Vale,” “Nova” and “Nyx” likewise aspire to the sensual intellectuality of the great Italian love poets, especially Cavalcanti, Dante and Petrarch.
    No ave, or “salutation,” is without its vale, or “adieu.” The title “Ave” alludes, among other things, to Catullus’s elegy “Ave atque vale,” on his brother’s death. With her own “Vale,” Pozzi constitutes a similar diptych of affirmation and negation, of amorous praise and the acknowledgment of love’s demise. “The great love that you had given me,” she laments, “the wind of days has broken its rays.”
    Like much of Pozzi’s verse, “Vale” involves strange punctuation (or rather, lack of punctuation) and some tantalizingly obscure passages that nonetheless possess philosophical resonance.
Exegetes and translators can try their hand on the second strophe, with its Renaissance cosmography, divided souls, double exiles and mystical unions: “Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée / L’orbe pour nous de l’être sans second / Le second ciel d’une âme divisée / Le double exil où le double se fond.” Similar in its use of cosmic similes is “Nova,” which in an earlier version was graced with an epigraph from Dante’s Purgatory: “The lovely planet, love’s own quickener, / Now lit to laughter all the eastern sky.” Pozzi often links the soaring effusions of love with a heavenly firmament contemplated in all its metaphorical richness.
    In contrast to this vertical élan, Pozzi also characteristically moves backward in time. In “Maya,” she goes “down steps made of centuries and sand / Leading to you, desperate moment.” “I enter your fable,” she adds, “land of golden temples, / Adored Atlantic.” Attracted to spiritualism (as were other intellectuals of her time), she believed that she had experienced former lives—here as a Mayan, elsewhere as an Egyptian, a Greek or an Italian woman.
    Inevitably, however, Pozzi would come brutally back to earthly realities. She had been diagnosed with tuberculosis in 1912, and by her most creative period—the late 1920s—she was suffering abjectly from the disease. “Vale,” for example, was composed in a night train taking her back to Paris from Vence, where she convalesced at her country home. In her Journal, she recorded the harrowing circumstances in which the poem was written. “Toward midnight,” she notes, recalling her chest pains, “I went to the restroom. Sitting on the floor, I gave myself a shot of Sédol. [...] I hadn’t used such shots for five months. [...] Peace then came over me. I could think of Lionardo [Valéry] without despair. To the rhythm of the train, I sang to myself and slowly invented, verse by verse, the [poetic] form [corresponding to] the suffering.” At the end of “Vale,” Pozzi once again imagines her dead body; yet she nonetheless survives in the “form of a heart” through which she will be able to “relive our great day / And that love that I gave you / For pain.” Oddly, only at this ethereal instant does the formal vous of her initial words to Valéry become tu.
    Pozzi also devoted a poem to Scopolamine, another painkiller. She relates how the drug induced sensations of selflessness and timelessness: “My heart has left my history,” she senses, “I am saved I am lost / I seek myself in the unknown / A name free of memory.” Pozzi often imagined death as a stage beyond which her soul not only persisted but enabled her to escape, like a Hindu or a Buddhist with respect to karma, an endless cycle of reincarnation, memory and suffering.
    Pozzi’s Journal de jeunesse 1893-1906 and her Journal 1913-1934 reveal the personal torment behind this haunting vision. She was a gifted woman permanently caught up in a nexus of conflicts, frustrations, contradictions and yearnings, not to mention her long fight against an incurable illness.
    As the daughter of Samuel Pozzi, a celebrated surgeon and gynecologist, Pozzi grew up amidst wealth and culture. Family friends included Sarah Bernhardt, Proust, Colette and many other artists.
(Her parents formed one of Proust’s models for M. et Mme Cottard in A la recherche du temps perdu.) Yet her father was indifferent to her, her estranged parents lived separate lives and no genuine efforts were undertaken, despite the family’s fortune, to give Catherine the formal education that her keen intelligence deserved. Defiantly, she became an impassioned autodidact who could hold her own with the exceedingly cerebral Valéry when they discussed higher algebra, contemporary physics or ancient languages.
    She frequented literary salons, whose gossip she chronicled acerbically in her Journal. Stimulated by her relationship with Valéry, she nonetheless worked slowly and sporadically on her writing. Moreover, once Agnès had been brought out to acclaim in 1927, Pozzi developed a sort of writerly over-scrupulousness—a paralyzing disdainful rigor perhaps mixed with a secret lack of self-confidence—that made her look aghast at the prospect of publishing. She even kept putting off her friend Jean Paulhan, the resourceful and perceptive editor-in-chief of La Nouvelle Revue Française, who often requested prose or poetry for upcoming issues. Their lively letters disclose how Paulhan once coaxed Pozzi into giving him “Nova” and “Scopolamine,” only to later see the enfeebled woman arrive at the print shop, as the December 1932 issue was in the last stages of production, and withdraw the poems. Although Pozzi wrote a few reviews and scientific articles for Le Figaro, “Ave” (1929) was the only poem that she allowed to appear. The critic Ernst Robert Curtius admonished her for “wasting such a brilliant, so victoriously obvious, talent.”
    Before dying, Pozzi listed in her diary the six poems that she most valued: “Vale,” “Ave,” “Maya,” “Nova,” “Scopolamine” and “Nyx.” She expressed the wish that they be published together—a wish that came true when the review Mesures included them in 1935, then issued a special offprint edition. The new Gallimard edition includes 29 additional poems, her translation of poems by the esoteric German symbolist poet Stefan George, her French versions of ancient Greek Orphic verse, and a few passages from her Journal and Peau d’âme. “Sappho did not travel through time on more words than that”—as Catherine Pozzi herself put it a few days before passing away.
à

 

 

 

AVE

Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,

Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour..

Quand je serai pour moi-même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,

Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Coeur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.

 

From Très haut en amour, poèmes et autres textes by Catherine Pozzi,
edited by Claire Paulhan and Lawrence Joseph

 

 

La Différence has published Pozzi’s Agnès and Peau d’âme, her Correspondance 1924-1925 with Rainer Maria Rilke, as well as Lawrence Joseph’s Catherine Pozzi, une robe couleur du temps and Pierre Boutang’s Karin Pozzi et la Quête de l’immortalité. La Différence has also collected Pozzi’s poems as Oeuvre poétique. Two other secondary works are Anne Malaprade’s Catherine Pozzi, architecte d’un univers (Larousse), and Hélène M. Julien’s Le Roman de Karin et Paul: le Journal de Catherine Pozzi et les Cahiers de Paul Valéry (L’Harmattan). See also Philippe Lejeune’s Le Moi des demoiselles, enqûete sur le journal de jeune fille (Seuil). Editions Claire Paulhan has brought out Pozzi’s Journal 1913-1934, her Journal de jeunesse 1893-1906 and her Correspondance 1926-1934 with Jean Paulhan.

 

 1.7.1995

Wahn der Reinheit
Catherine Pozzi kann Valéry nicht vergessen ·

Von Ralf Konersmann

Es begann eher unspektakulär, mit einem Leseerlebnis. Ende des Jahres 1919 stößt Catherine Pozzi auf "Note et Digression", den ersten Selbstkommentar Paul Valérys zu seinem frühen Leonardo-Essay. In der rückblickenden Betrachtung ihres Tagebuchs gestaltet sie diese Lektüre zu einer Begegnung von wegweisender Zweideutigkeit. Der unverzügliche Entschluß, die jählings verspürte Nähe des fremden Geistes unter allen Umständen abwehren zu müssen, ringt mit der unverhofften Genugtuung geistigen Einvernehmens. Damals habe sie ihren Doppelgänger gesehen, erinnert sich Catherine Pozzi ein Jahr später, und kurz darauf bestätigt sie die Schlüsselerfahrung mit dem Geständnis, jener Essay habe sie für ihn eingenommen. Doch schon jetzt tönen Bedauern und Bitterkeit den Bericht. "Leider war es ein Anachronismus. Ich wußte es nicht."

Siebenunddreißig ist Catherine Pozzi, als sie Valéry im Juni 1920 kennenlernt. Sie entstammt einem gebildeten Elternhaus, in dem einst tout Paris verkehrte. Aus einer unglücklichen Ehe mit dem Dramatiker Edouard Bourdet ist ein Sohn geblieben. Seit längerem hat sie das Tagebuchschreiben wiederaufgenommen, sie dichtet mehrsprachig und hat einen philosophischen Aufsatz veröffentlicht. Valéry seinerseits, verheiratet und Vater dreier Kinder, ist eben dabei, sein Schweigen, das er nach dem frühen "Abend mit Herrn Teste" (1896) und einigen Essays gewahrt hatte, endlich zu brechen. Jene Leonardo-Annotierung ist das Signal einer neuerwachten Produktivität. Bis 1928, als die Verbindung abbricht, werden "Eupalinos", "Charmes", "Rhumbs" und, in erweiterter Fassung, "Monsieur Teste" erscheinen. Zwei- bis dreitausend Briefe werden die beiden schließlich gewechselt haben, die großenteils verloren sind.

Catherine Pozzis Protokoll der gemeinsamen Jahre ist mehr und anderes als eine Anhäufung privater Notizen. Es ist Chronik, moralisch- moralistischer Traktat, persönliches Geständnis und Testament in einem. Es ist die Gedankenprosa einer philosophischen Schriftstellerin, die - darin dem Verfasser der "Cahiers" nicht unähnlich - ihr Talent einem öffentlichkeitsfernen und von jeder diplomatischen Rücksicht freien Werk zuwandte. Gewiß hat es etwas Verfängliches, wenn die nun vorliegende und im übrigen durch Geschmeidigkeit und Akribie beeindruckende Übersetzung des "Journals" strikt auf die Zeit der Verbindung mit Valéry beschränkt bleibt und damit den Umfang der französischen Ausgabe nahezu halbiert. Doch selbst die gekürzte Fassung duldet keinen Zweifel: Catherine Pozzis "Tagebuch" ist ein Zeugnis von höchstem literarischem Rang.

Die Eindrücklichkeit jenes allerersten Leseerlebnisses bleibt ihr stets gegenwärtig. "Leonardo" wird einer der vielen Namen sein, die sie für Valéry findet, und es ist derjenige, den die Tagebuchschreiberin stets beibehält. In den ersten Monaten und dann noch einmal am Tag ihrer Trennung am 24. Januar 1928 nennt sie ihn einfach "Le Bonheur", "Das Glück". Doch was immer Catherine Pozzi und Paul Valéry verbunden haben mag, was immer ihnen fast acht Jahre des emotionalen Abenteuers und der intellektuellen Leidenschaft beschert hat: Freundschaft, Liebe, Geistesverwandtschaft - Glück scheint ihnen nur augenblicksweise vergönnt gewesen zu sein. Von einem äußersten Sonderfall an gegenseitiger Anerkennung hat Friedhelm Kemp gesprochen, der sich für die Erschließung der großenteils unedierten Schriften und Briefe Catherine Pozzis seit langem einsetzt, von einem "düsterblitzenden Knäuel von Ahnungen, Einsichten, Verdeutlichungen, Verdächtigungen mit überscharfen Kanten, Spitzen - und andererseits höchsten Augenblicken reinen Ineinanderklingens".

Wenigstens Valéry sei glücklich gewesen, lautet die Tagebuchbilanz des Frühjahrs 1924. Und prompt folgt die Einschränkung: "Ich wäre glücklich, wenn wir unschuldig wären." Der Leser folgt den Fügungen dieser Passion, wie sie unter dem unmittelbaren Eindruck der Ereignisse festgehalten wurden. Tatsächlich lebt dieses Textdokument von der Direktheit der Formulierungen und der Unbefangenheit des Tonfalls. Um so erstaunlicher, daß in der Zusammenschau ein Erzählbogen deutlich erkennbar hervortritt. Die Abfolge der Ereignisse ist als Unschuldsverlust dramatisiert - eine Pointe, die dieser zusehends auf ihre protestantische Herkunft sich besinnenden Schriftstellerin nahegelegen haben muß. Mit jener Wortgenauigkeit, wie sie ihr selbst in Momenten größter Gefühlsintensität zu Gebote steht, spricht sie von einer "Partie". Der Ausdruck umfaßt das ganze Spektrum dieser Verbindung - ihre spielerischen Züge, ihre Gewagtheit, ihre Enttäuschungen.

Als sie gerade ein halbes Jahr zusammen sind, prägt Catherine Pozzi das selbstlos-stolze und ebendarin charakteristische Wort: Sie habe von sich aus den Mut aufgebracht, sich in ihm zu entsagen. So verwickelt die Formel auch ist, sie erfaßt nur einen einzigen Aspekt dieser zwischen innigster Verschworenheit und unnachsichtiger Kritik schwankenden Verbindung. Daß die Geschwisterlichkeit, von der Catherine Pozzi anfangs geträumt hat, nicht von Dauer sein würde, gestand sie sich bald ein. "Desum" nennt sie ihn, um seine Abwesenheit und seine Gefühlskälte auszusprechen, oder, Freud und Leid mit einem einzigen Ausdruck umfassend: "Hell".

Dennoch, mit der "Ausstoßung", wie Valéry die Trennung später bezeichnen wird, wartet sie lange, verzweiflungsvolle Jahre. Offenkundig hat Catherine Pozzi in der gedanklichen Konsequenz, in der geistigen Selbständigkeit und Klarheit, die sie bei Valéry entdeckt zu haben glaubte, das ideale Gegenstück ihrer eigenen moralischen und intellektuellen Ansprüche gesehen. Die Schlüsselbegriffe dieser Ambition heißen Strenge, Reinheit und Konstruktion. Tatsächlich schien Valéry ihre "Seelen" und "Gefühlsstrenge" schon vorweggenommen zu haben, als er in seinem Leonardo-Komplex die Devise der beharrlichen Strenge (Hostinato rigore) ausgab. Das Ideal der "Reinheit", ihre folie de pureté, preist Catherine Pozzi mit ihrem Alter ego Agnès ("die Reine"), der Titelfigur einer autobiographischen und in ebendiesen Jahren entstandenen Novelle. Das Prinzip der Konstruktion schließlich trägt ihr Denken, ihr Leben ("Eine sehr merkwürdige Konstruktion bin ich") und nicht zuletzt ihre Liebe. Jahre habe sie damit verbracht, so wird ihr Fazit lauten, sich "mit den Mitteln der Liebe einen Helden zu schaffen".

Valéry war solcher Konsequenz stets ausgewichen; an eine regelrecht entworfene und an diesem Entwurf zu messende Liebe, an einen von ihm selbst durchlebten und durchlittenen Amour en construction hat er nie gedacht. Mag man es nun Weitsicht nennen, Selbstschutz, Inkonsequenz oder - wie Catherine Pozzi - Feigheit: angesichts der Rigorosität des konstruktiven Prinzips hatte diese Liaison zu keiner Zeit Aussicht auf Bestand. Tatsächlich ist das "Journal" eine artistische Dauerkommentierung und Ausbeutung des Selbsterlebten, eine literarische Schule des Mißtrauens, die durch die Wahl ihrer Mittel gefährdet, was sie beobachtet, was sie herbeisehnt und was sie verlangt. Wie Valérys Edmond Teste setzt auch Catherine Pozzi entschlossen auf Bildsamkeit, und wie er sucht sie deren Mechanismus und Grenzen geradewegs in ihrer Existenz. Wie sehr, schreibt Valéry, hatte Teste "von seiner eigenen Formbarkeit träumen müssen" - und wie bezeichnend ist solches Verlangen für den Lebensentwurf dieser Frau!

Als sie sich von Valéry abwendet, ist sie enttäuscht. Die Enge seiner Lebensverhältnisse, seine Kompromisse und diplomatischen Rücksichten schrecken sie ab. Als Frau fühlt sie sich unterschätzt und ausgebeutet, als Intellektuelle sieht sie sich mißkannt und plagiiert. Ein Fürst sei er, gewiß, doch "ein Fürst nur des Wortes". In Passagen wie diesen entzaubert das "Journal" einen Mythos: Valéry, auch er ein Mensch mit schwachen Momenten, auch er ein Mann und ein Narziß. Das Fazit birgt die Versuchung, die im Dienst der Selbstbehauptung vollzogene Entmythologisierung als These aufzunehmen und zu aktualisieren. In seinem Begleitwort gibt Max Looser dem nach und setzt die vatermörderische Parole Yves Bonnefoys effektvoll in Szene: "Wir müssen Valéry vergessen."

Müssen wir? Daß Valéry der Gott nicht war, den mancher Verehrer in ihm hat sehen wollen, wird niemanden ernsthaft überraschen. Besonders befremdlich aber wirkt der Aufruf vor dem Hintergrund der hiesigen Debatten. Die deutsche Übersetzung der "Cahiers" - wie die Pléiade- Ausgabe unvollständig - liegt seit gerade zwei Jahren vor, die Edition der "Werke" ist nicht einmal abgeschlossen. Einen Klassiker wird man Valéry hierzulande nicht nennen wollen, im Gegenteil: Wir dürfen ihn noch entdecken.

Die Abschiedsgeste mag Aufsehen erregen, aber sie ist übereilt und deplaziert. Zu Unrecht beruft sie sich auf den Tenor dieses Tagebuchs. Für Catherine Pozzi ist das geistige Schaffen Valérys sakrosankt. Gelegentlich erinnert sie an jenes Wort, das er für das schönste der Welt gehalten habe: Non serviam! "Nicht nur nicht dienen, sondern zu nichts dienen!" Darin, wie so oft, wußte sie sich mit ihm einig.

Catherine Pozzi: "Paul Valéry - Glück, Dämon, Verrückter". Tagebuch 1920- 1928. Herausgegeben und aus dem Französischen übersetzt von Max Looser. Insel Verlag, Frankfurt am Main 1995. 540 S., geb.

 

31.3.2003

Form des Leidens, Vers um Vers
Die "Sechs Gedichte" der Catherine Pozzi, der Geliebten Valérys

Zwei außerordentliche Ereignisse hat Paul Valéry als entscheidend für sein "geheimes Leben" verzeichnet: die sogenannte Nacht von Genua und seine Begegnung mit Catherine Pozzi. In jener Genueser Sturmnacht 1892 schleuderte Valéry den Blitzstrahl auf alles, was er damals war, und sagte der Dichtung für lange Jahre ab, um zum "maître de sa pensée" zu werden und das Funktionieren des Denkens zu ergründen. 28 Jahre später fand er sich getroffen von einem anderen Strahl - er kam von den Lippen ebenjener Catherine Pozzi.

Sie, die Tochter jenes erfolgreichen Arztes, der das Vorbild für Prousts Doktor Cottard lieferte, war dabei, sich von ihrem Mann Edouard Bourdet, einem erfolgreichen Bühnenautor und Leiter der Comédie Française zu trennen, als sie am 17. Juni 1920 Paul Valéry bei einem Abendessen kennenlernte. Es war der Beginn eines geistigen und erotischen Abenteuers, in dem beide Partner mit hohem Einsatz spielten. Catherine vor allem; und sie tat es ohne Rückhalt und Kompromiß. Die distinguierte, sportliche, intellektuell trainierte Enddreißigerin, sensibilisiert durch die Anfälle einer Tuberkulose, war bereit und fähig, an Valérys Denken und Arbeit teilzunehmen. Etwa indem sie die morgendlichen Niederschriften seiner "Cahiers" sichtete, ordnete und mit ihm diskutierte.

In ihrem eigenen Tagebuch beteuert sie einmal, sie wolle ein "Kind guten Willens" sein und "gleichsam ewig durchsichtig für wer weiß welche Sonne". Aber das ist nicht der Gestus von Unterwerfung, sondern Ausdruck einer Unbedingtheit, die über den Freund als direkten Adressaten weit hinaus zielt: "Durch dich hindurch gehe ich zu Gott", schreibt sie und rühmt eine Liebe, "die nicht kennt und, dennoch, findet".

Ihrem Partner konnte sie mehr als ihren leidenschaftlichen Charakter entgegenhalten, mehr auch als ihre metaphysische Liebesidee. Nämlich ein OEuvre, das in seiner Vielfalt Ausdruck einer emphatischen Einheit ist. Catherine Pozzi hat neben ihren Tagebüchern und der Erzählung "Agnès" einen großen Traktat über die Einheit von Körper und Seele verfaßt - und eben "Die sechs Gedichte", deren lapidarer Titel fast überdeutlich den hohen Anspruch der Autorin markiert. Diese Gedichte sind nicht nur groß gedacht und hoch stilisiert. Sie enthalten auch, wie Einschlüsse in Bernstein, Spuren von Erdenresten - Spuren von Leid, Liebesleid. Catherine begann sie zu schreiben, nachdem sie Valérys Frau das Geständnis ihrer Liaison gemacht hatte. Die Gedichte entstanden zwischen 1926 und 1934, das letzte im November 1934, vier Wochen vor ihrem Tod.

Das erste Gedicht, "Vale", entstand im Schlafwagen Vence-Paris und unter dem Einfluß einer Morphiumspritze. Im Rhythmus des Zuges, schreibt sie, "sang ich vor mich hin und erfand langsam die Form des Leidens, Vers um Vers". "Vale" ist der Abschied von "Le grand amour": "Die große Liebe, die du mir gegeben hattest / Zerbrochen sind im Wind der Tage ihre Strahlen." Die Klage eröffnet einen Disput zweier Liebesauffassungen. Mehr noch: Sie ist eine Absage an die Version des Mannes. Ihm wird für die Zukunft eine mindere Gegenwart prophezeit: "Was du auch trinkst, dein einziger Rausch / Bleibt der verlorene Wein." Hier spielt - in Versen, die den artistischen Standard der Lyrik Valérys halten - Catherine auf "Le vin per-du", ein Sonett aus "Charmes" an. Dagegen setzt das lyrische Ich das stolze Bekenntnis: "Ich fand das Himmlische und Wilde wieder / Das Paradies, wo Angst Verlangen ist." So rettet die Dichterin ihre Schmerzens-Liebe in eine Zukunft nach dem Tod.

Diese Vorstellung von der Vollendung der Liebe bestimmt auch "Ave". Es ist ein Lobgesang auf die "Sehr hohe Liebe" (Très haut amour), die aus tausend Körpern einst neu erschaffen wird. Ein Gedanke, den Catherine Pozzi der "Erhebung zu Jesus Christus" des Kardinals Bérulle entnimmt: "O reine, himmlische und göttliche Liebe! Liebe, die keines Unterhalts und keines Gefühls bedarf." Man mag auch an Rilkes Idee einer den Partner transzendierenden Liebe denken - mit Rilke hat Catherine übrigens korrespondiert.

Friedhelm Kemp gibt für die Deutung der oft hermetischen Gedichte wichtige Hinweise. Aber auch er muß es mit Andeutungen genügen lassen und spricht von Pozzis "sinnschwer aufgeladenen Abbreviaturen". Eine Ausnahme an Luzidität macht das kurz vor Catherines Tod entstandene Gedicht "Nyx" (Nacht), gerichtet "An Louise auch aus Lyon und Italien". Gemeint ist die Lyonerin Louise Labé, deren Sonette Rilke übersetzt hat. Catherine Pozzis Hommage an die Liebes- und Leidensgenossin läßt in den O-Anrufen die Reime ihrer Vorgängerin anklingen und endet in einem wunderbaren "Je ne sais pas": "Weiß nicht warum ich sterbe und ertrinke / Eh ich den ewgen Aufenthalt betrete. / Weiß nicht wer mich als seine Beute griff. / Weiß nicht wer mich als seine Liebe liebt."

HARALD HARTUNG

Catherine Pozzi: "Die sechs Gedichte / Les six poèmes / The six poems." Ins Deutsche übertragen von Friedhelm Kemp, ins Englische von Howard Fine. Mit einem Essay von Friedhelm Kemp. Steidl Verlag, Göttingen 2002. unpaginiert, geb.

 

 

Catherine Pozzi, la femme brûlée

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27 Novembre 1987

Le Journal de celle qui fut la compagne secrète de Valéry.

Le nom de Catherine Pozzi ne trône pas dans les histoires littéraires des débuts de notre siècle. Et si quelques anthologies de poésie, notamment celle d'André Gide, ont fait une place à ses vers (1), cela n'a pas suffi à fixer son profil dans nos mémoires. En revanche, les amateurs de Paul Valéry, ceux du moins qui se seront penchés sur la biographie de l'écrivain, auront peut-être, au détour des années 20, croisé la frêle silhouette de cette femme singulière. Son passionnant Journal, que publie aujourd'hui Claire Paulhan, en recompose la figure admirable et déchirée.

Italo-Suisse et protestante par son père, Lyonnaise et catholique par sa mère, Catherine Pozzi appartient à la bonne bourgeoisie, opulente, parisienne et éclairée de la fin du dix-neuvième siècle. Le foyer où elle nait en 1882 n'est pas un modèle d'entente conjugale. Samuel Pozzi, dreyfusard, wagnérien, amateur d'art, de lettres et de femmes, sénateur et brillant chirurgien, servira de modèle à Proust pour peindre quelques traits du moins brillant docteur Cottard. Il connaitra une fin tragique, tué par un de ses anciens patients, en juin 1918, devant son domicile, avenue d'Iéna à Paris. Catherine a trente-six ans.

Elle est, depuis 1909, l'épouse d'Edouard Bourdet, un ami d'adolescence, et la mère d'un fils qui restera unique, Claude (2). A l'image de celui de ses parents, mais avec une violence plus grande due à la force de caractère de la jeune femme, le couple se déchire. A l'évidence, le boulevardier, l'auteur de pièces à succès qu'Edouard Bourdet est en train de devenir, ne peut répondre dans son "inconsistance amoureuse", à l'attente de Catherine. Aux yeux de celle-ci, il devient très vite cet esprit pusillanime qui "n'a pas de foi et n'a pas souffert, ni cherché, ni entrevu de vérité".

Un " esprit de clarté "

Le divorce, cependant, n'est prononcé qu'en 1920. "Ma fidélité est dégoûtante, brûlée d'aventures auxquelles je ne cède point", écrit Catherine Pozzi, avec cette lucidité absolue, "chirurgicale", appliquée à tout dénuder, et d'abord elle-même.

La mort d'André Fernet (au cours d'un duel aérien au-dessus de la Lorraine, en 1916), celui qui fut le "fiancé frère", le "voeu de tout mon esprit", et les progrès de la maladie _ tuberculeuse, elle crachera le sang toute sa vie, avec des périodes de rémission, _ accentueront chez Catherine Pozzi le sentiment de précarité, d'urgence devant la vie.

Mais dans ce "corps de détresse" habite un "esprit de clarté" ; et l'esprit de Catherine demande nourriture. Avec avidité. Autodidacte _ la bourgeoisie de la IIIe République n'a pas vraiment contribué à la libération intellectuelle des femmes, _ elle passe son baccalauréat à trente-sept ans, étudie la chimie, la biologie... L'essentiel, cependant, c'est la quête spirituelle, la tentative philosophique, dont son essai posthume Peau d'âme, auquel elle travailla de 1915 à sa mort en 1934, fut le résultat.

Catherine Pozzi, qui va " impétueusement à l'extrême de tout ", qui veut " le parfait de tout ", trouve la pleine joie en même temps que la plus grande souffrance de sa vie en juin 1920, quand elle rencontre Paul Valéry et devient sa maitresse. Il a quarante-neuf ans, travaille à son oeuvre et à sa célébrité. Les salons de la capitale se partagent l'écrivain, ourdissent son entrée à l'Académie française ; elle aura lieu en 1927. " Jamais je n'ai connu cette certitude, cette sérénité douloureuse, à la fois exaltée, écrasée ", écrit Catherine. De son côté, l'auteur de la Jeune Parque parle dans ses Cahiers de " quelque chose d'immense, d'illimité, d'incommensurable " et met en rapport cet orage avec le " coup d'Etat " d'octobre 1892 _ la " nuit de Gênes " _ qui le fit renoncer " définitivement " à la poésie.

Durant presque huit années, cette relation amoureuse illégitime (Valéry est marié, père de famille), secrète _ plus ou moins, _ connaitra les soubresauts, la violence et les fièvres de la passion dévorante. C'est avec cette même passion, où l'esprit rejoint le corps, l'élève à une puissance qu'il est incapable d'atteindre seul, que Catherine transcrit, analyse, exhale, dans son Journal une longue et bouleversante plainte. Mais l'amour, dans lequel elle est entrée " comme en religion ", ne la fait pas renoncer à sa lucidité ; celle-ci s'aiguise même encore. " Il est tel. Le moins fier, le moins fort, le moins juste, le moins bon... et, sous ce quadruple manque, un diamant. "

Mais à la communion réelle des esprits, à l'échange dans les régions les plus élevées (elle écrit : " J'ai peur de vos bras qui tout de suite ont la forme de mon âme "), succède vite le désenchantement. Si Catherine Pozzi dilapide dans l'amour son corps, son âme et son esprit, Valéry, lui, calcule, gère, renâcle devant le péril, veut se maintenir dans les limites d'un adultère acceptable... " Petit monsieur sec, assis près de son feu, comme serré sur lui-même ", " penseur d'appartement "... Le temps s'éloigne où " l'instant qui était caresse " et celui " qui était pensée " s'harmonisaient. La rupture définitive, c'est Catherine qui la décrète, le 24 janvier 1928. Son désespoir est aussi profond que calme. Cette " longue folie d'intelligence ", ces " débauches de matière spirituelle " prennent fin dans une " fatigue " telle qu'" il faudrait deux, trois vies de sommeil " pour la réparer. Il serait cependant absurde et injuste de profiter de la seule parole de l'amante pour juger, ici, l'homme, surtout lorsqu'il s'appelle Paul Valéry et qu'il ne peut se réduire à ce qu'une voix dit de lui.

A côté de ces pages brûlantes, où le chant d'amour s'accorde admirablement à celui de l'esprit, Catherine Pozzi dresse un tableau des moeurs et de la société. Quelques sacrifices involontaires à l'air du temps, ou à celui de la bourgeoisie, n'altèrent en rien ce superbe journal. L'observation est toujours acérée, la flèche est tirée avec une sûreté absolue quant aux êtres : ainsi, parlant d'André Gide, " bête comme les intelligents de métier ", ou de Jean Paulhan, " attentif, discret, un peu trop " vie intérieure " par l'extérieur "...

Il faut souhaiter que la publication de ce Journal fasse justice à Catherine Pozzi, au-delà des aspects anecdotiques, au-delà même de la personne de Paul Valéry. Qu'un peu de gloire posthume, ou de considération, revienne à l'auteur de ces pages dont les années n'ont en rien apaisé la vibration, tout à la fois nerveuse et spirituelle.

KECHICHIAN PATRICK

 

 

HISTOIRE LITTÉRAIRE

L'itinéraire bouleversé de Catherine Pozzi

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 7 Octobre 1988

Epouse insatisfaite du dramaturge Edouard Bourdet, compagne secrète de Paul Valéry,elle fut aussi, surtout, une femme d'exception.

La publication, l'an dernier, du Journal de Catherine Pozzi  avait sorti de l'oubli la figure tourmentée, incandescente, de celle qui fut, entre 1920 et 1928, la compagne illégitime de Paul Valéry. De l'oubli, mais également des seules coulisses de la biographie sentimentale de l'écrivain et, par la même occasion, de la devanture de quelques salons parisiens et littéraires des débuts du siècle.

Bien au-delà des préjugés d'une époque, des étroitesses de pensée et d'action d'une classe sociale dont ces pages étaient parfois le reflet, s'affirmait la personnalité d'une femme d'exception. La biographie que publie aujourd'hui Lawrence Joseph, universitaire américain et préfacier du Journal, retrace les moments de joie, de souffrance et de ferveur d'une existence entière vouée à cet " héroique Comprendre " dont Catherine Pozzi avait fait son but unique.

Fille du docteur Samuel Pozzi, esprit brillant et volage évoluant dans le monde des arts et des lettres, cultivant la politique aussi bien que la chirurgie, Catherine Pozzi devra conquérir par elle-même ce qu'au tournant du siècle on refusait traditionnellement aux jeunes filles dans une société solidement, lourdement bourgeoise : l'indépendance et la culture. " Le jeu de l'âme et du hasard "

L'indépendance et la liberté, Catherine Pozzi, divorcée de l'auteur dramatique Edouard Bourdet, les gagnera en se consumant. Vivant ses amitiés et ses amours sous le signe d'une exigence qui pouvait difficilement s'accommoder des faux-semblants, elle éprouvera la solitude et souffrira du délaissement au sein même de la plus brillante et bruissante société parisienne. Paul Valéry, à la fois, " diamant " et " petit monsieur sec, informé de partout ", figure du " très haut amour " et amant frileux et pusillanisme, fut pour Catherine Pozzi l'objet de ce " sentiment vraiment sans nom qui au dedans de moi pleure d'impuissance et d'inapaisable soif ". Huit années de liaison tumultueuse _ banal adultère bourgeois sur fond de salons littéraires et expression d'un élan sublime où le corps s'exalte dans l'esprit (" Je ne sais plus si ton bras est autour de mon esprit ou ta pensée appuyée à mon corps qui te cède ", écrit l'amante) laisseront la jeune femme épuisée, défaite.

Avec acharnement et impatience _ une impatience justifiée puisqu'elle mourra six ans après sa rupture avec Valéry, en décembre 1934, _ Catherine Pozzi n'en poursuit pas moins sa quête intellectuelle. Un essai philosophique commencé en 1915, et qui s'intitulera successivement De libertate puis le Corps de l'âme et enfin Peau d'Ame (2), devait être l'aboutissement de cette quête. " Tout sentir actuel a lieu sur la chair ayant déjà senti ". Pour C. Pozzi, l'âme s'incarne en rassemblant l'héritage des ancêtres.

Il serait facile d'ironiser sur ces incertaines tentatives de synthèse philosophico-scientifique, teintées d'illusions positivistes. Ce n'est évidemment pas au titre de ces constructions vacillantes, que le nom de Catherine Pozzi peut exercer aujourd'hui un attrait.

Les deux volumes que Lawrence Joseph publie parallèlement à sa biographie montrent un autre aspect des talents et des préoccupations littéraires de C. Pozzi : Agnès est une courte nouvelle autobiographique éditée par Jean Paulhan dans la NRF, en 1927. Ce " jeu de l'âme et du hasard " dans lequel l'héroine " engage le vrai de l'être avec la hardiesse de l'amour " est écrit dans un style nerveux merveilleusement efficace. L'intuition psychologique éclaire la passion de connaissance et donne au texte tout à la fois sa pertinence et son impertinence. L'auteur avait un moment envisagé de placer cette nouvelle en introduction d'une éventuelle édition de son Journal. De fait, Agnès constitue la meilleure part des diverses tentatives de bilan autobiographique auquel Catherine Pozzi se livra.

Quant aux poèmes, minutieusement rassemblés avec notes et variantes par L. Joseph, forment-ils à proprement parler une " oeuvre poétique " comme l'indique le titre du volume ? Hormis les six superbes poèmes amoureux que C. Pozzi souhaitait voir réunis après sa mort, sa production poétique relevait surtout des circonstances ou des exercices versifiés.

Scrupuleusement informée et documentée, la biographie de Lawrence Joseph reconstitue l'itinéraire bouleversé de Catherine Pozzi. Elle interprète les mystères, comble les lacunes et rétablit une continuité là où le Journal donnait à lire les fragments d'un miroir éclaté. Mais cette cohérence convenue, dans laquelle la vie et l'oeuvre de Catherine Pozzi trouvent leur place, rend-elle vraiment justice à l'effervescence que fut cette vie? Moins qu'une oeuvre lentement mûrie et construite, elle a laissé sa matière, brûlée au feu de son existence. De cette brûlure le Journal reste le premier, l'incomparable écho.

KECHICHIAN PATRICK

 

 

HISTOIRE LITTERAIRE

Catherine Pozzi, une âme à fleur de peau

Son « Journal de jeunesse » vient compléter la figure de cette personnalité remarquable

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21 Avril 1995

La publication, du Journal de Catherine Pozzi en 1987, par les soins de Claire Paulhan (1) avait révélé l'extraordinaire personnalité de cette grande bourgeoise parisienne, qui, fille d'un célèbre chirurgien, côtoya toutes les sommités mondaines et culturelles de son temps. Figure intellectuelle remarquable, en cette si « belle » époque où l'on déniait généralement aux femmes le droit d'exercer leur intelligence, Catherine Pozzi n'eut pas comme seul titre de gloire d'avoir été, de 1920 à 1928, l'amante de Paul Valéry. On peut d'ailleurs rêver d'un renversement des valeurs qui ferait soudain de l'auteur de Charmes le débiteur intellectuel de sa maîtresse... Le rêve n'a rien d'absurde : dans la « débauche de matière spirituelle » (l'expression est de Catherine Pozzi) à laquelle cette liaison donna lieu, le commerce s'avéra fructueux pour les deux partenaires ; esprit supérieurement raisonnable, analyste imperturbable, Valéry était simplement mieux à même d'en exploiter les bénéfices.

Trop pressée et perturbée, trop brûlée, affectée d'une sensibilité nerveuse excessive, à la fois souffrante et enorgueillie par cette souffrance, Catherine Pozzi vécut, pensa et aima dans un état de perpétuelle ébullition mentale. Elle ne fit pas oeuvre. Et si quelques pages une nouvelle autobiographique, Agnès, un essai de systématisation de sa pensée philosophique, Peau d'âme, et quelques poèmes (2) se sont détachées, c'est surtout son superbe, son étonnant Journal qui conserve l'éloquent témoignage de cette ébullition et de cette impatience.

Le Journal de jeunesse de Catherine Pozzi, publié, avec les mêmes soins attentifs par Claire Paulhan, couvre les années 1893-1906, c'est-à-dire de la dixième à la vingt-troisième année. En 1909, Catherine se marie avec Édouard Bourdet, juste avant que celui-ci devienne un auteur dramatique célèbre ; de cette union, qui se révéla très vite désastreuse, naquit, la même année, un fils unique, Claude. En 1912, la tuberculose se déclare. L'année suivante, elle entame son Journal d'adulte, qu'elle n'interrompra que quelques jours avant sa mort, en décembre 1934.

UN MOI SINGULIERC'est surtout dans la perspective de celui-ci que le Journal de jeunesse est passionnant. Sans doute constitue-t-il, en lui-même, un document supplémentaire pour l'étude du Moi des demoiselles (3). Mais c'est d'abord la constitution de ce moi singulier, l'apparition d'un visage où une physionomie encore tremblante semble chercher à se fixer, qui retient l'attention du lecteur. « Personnalité enflée » dans « un corps mince » comme elle le dira elle-même en 1913, Catherine Pozzi présente, dans son jeune âge, tous les caractères qui rendent les petites filles trop douées et trop riches insupportables : vanités et jérémiades, pédanterie, narcissisme, vues péremptoires sur toutes les affaires du monde, snobisme... Le « cher petit livre », « confident » des petites joies et des petits malheurs, est, dans ses premières pages, plein de tout cela, qui ne contribue pas à rendre son auteur immédiatement attachant. Mais il serait injuste de ne voir dans ces premières approches de soi que les traits rudimentaires d'une psychologie juvénile. Quelque chose d'autre est en train de se frayer un chemin. « En me relisant, il me semble qu'il y a dans ces lignes, non pas l'âme d'une petite fille de treize ans, mais celle d'une femme mûre qui connaît déjà le monde... » Catherine anticipe quelque peu sur elle-même, mais elle voit juste. Sa maturité et son intelligence sont effectivement en train de naître. La précocité n'en est qu'une manifestation subalterne. Le tournant se situe un peu plus tard, vers l'âge de quatorze ou quinze ans. Non que soudain, en un instant, les naïvetés cessent et les traits agaçants s'effacent ils persisteront toute sa vie. Mais une autre voix, à la fois plus pure et fêlée, plus authentique, se fait entendre, cognant de plus en plus fort contre la gangue des mièvreries sociales et psychologiques. « Dans la vie, la jeune fille est un être seul », écrit-elle en octobre 1896. Cette phrase peut être prise comme point de bascule : dans le paysage mondain et intellectuel surchargé qui fut le sien, dans l'opulence de son existence réelle, la figure de Pozzi est bien celle de cette solitude féminine.

Décembre 1897 : « En ce moment, je suis sortie de moi-même, et je regarde avec pitié le genre humain, et je plains, avec tant soi peu d'ironie, la pauvre créature, orgueilleuse et humble, qui, dans un épisode de l'éternelle comédie, s'appellera Catherine Pozzi. » Le ton peut bien être emphatique, le narcissisme hypertrophié, la voix est là. Et c'est de là que Catherine Pozzi ne cessera plus de s'observer ainsi dans une page étonnante du 16 février 1898. L'emphase disparaîtra presque complètement, le narcissisme, lui, se développera : jusqu'à la souffrance. C'est de là également, du haut de cet orgueil et de cette pauvreté, qu'elle observera le monde et les personnes ; et mieux valait ne pas tomber sous son regard !

La découverte de Wagner et de Nietzsche toujours dans les mêmes années , solidifiant encore le désir de force et les rêves de puissance, l'interrogation religieuse, et, plus tard, la question répétée de l'amour « Ô baisers, baisers, quelle petitesse de gémir pour vous ! » et du mariage constituent les épisodes extérieurs, banals, de ces années de formation. Essuyant « les sueurs morales de [son] âme », de cette « âme à fleur de peau », Catherine Pozzi, avide d'apprendre et surtout de savoir, croit construire, « avec ce moi éphémère », « un temple de force et d'ironie ». Mais derrière ce « temple » dérisoire, derrière le masque de ce moi « enflé », ce qu'elle laisse deviner est infiniment plus beau et fragile.

PATRICK KECHICHIAN

 

 

Chardonne, Paulhan, Pozzi : échanges contraires

Deux correspondances, ou plutôt deux chassés-croisés, avec le directeur de la« Nouvelle Revue française ». D'un côté, un écrivain en quête d'un adoubement de l'illustre revue ; de l'autre, une diariste et poète plus ambiguë dans son désir de reconnaissance

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 9 Juillet 1999

Une correspondance entre deux écrivains, Racine et La Fontaine, Gide et Claudel, c'est un volume de lettres. Un ouvrage de librairie, bien réel. Et nous ne pensons pas, quand nous l'avons en main, que le mot « correspondance » signifie aussi « analogie, affinité, ressemblance ».

Eh bien, ce second sens s'impose à nous, par antinomie, quand nous lisons les lettres qu'échangèrent, durant des décennies, Jean Paulhan et Jacques Chardonne, Jean Paulhan et Catherine Pozzi. Une lecture de bel intérêt, de vrai plaisir. Mais il n'y a pas affinité cruciale entre ces correspondants.

La Correspondance Paulhan-Chardonne peut être scindée en deux temps : avant et après 1940. Avant 1940, c'est simple. Jacques Chardonne possède et dirige une maison d'édition, Stock. Et il écrit des romans. Il ne les publie pas chez lui, car il voit qu'un autre éditeur, Bernard Grasset, vend ses livres mieux que lui. Chardonne publie donc ses romans chez Grasset - ce qui tout de même le chiffonne, parce que l'éditeur des grands écrivains est, à ses yeux, Gallimard, « trop distingué pour aimer vendre », dit-il.

Chez Gallimard est éditée une revue mensuelle, la NRF, dirigée par Jean Paulhan, qui donne en prépublication des romans, comme Le Grand Meaulnes. Chardonne va faire sans relâche, opiniâtrement, le siège de Paulhan pour que paraissent d'abord en revue, dans la NRF, ses romans, qu'en volume il réserve à Grasset. Et, ne doutant de rien, il va supplier Paulhan, une fois ses romans parus chez Grasset, d'en donner dans la NRF des comptes rendus enthousiastes.

Jusqu'en 1940, les lettres de Chardonne à Paulhan ne sont que ce refrain, lancinant : ses romans prépubliés dans la NRF, éloges de ses romans dans la NRF . Les réponses de Paulhan à Chardonne sont d'un homme que ce cynisme, cette indélicatesse amusent (accueillir en feuilleton dans la NRF des romans publiés chez Grasset ne rapportait rien, vraiment rien, à Gallimard). Paulhan fait durer, ne cède pas, cède un peu, c'est le chat et la souris.

En 1940, les Allemands entrent dans Paris. Paulhan est l'homme de l'immédiat : il ferme la revue, il entre dans la Résistance. Chardonne est l'homme du passé et l'homme de l'avenir. Or le passé et l'avenir, pour lui, c'est l'Europe. Il l'a toujours écrit, il l'écrira toujours. Une Europe dont le noyau est le couple France-Allemagne, et qui saura faire pièce, une fois la guerre finie, aux bolcheviks d'un côté, aux Américains de l'autre.

Quand Drieu la Rochelle, européen de toujours lui aussi, rouvre la revue NRF sous l'occupation allemande, Chardonne, dès le premier numéro, donne un texte, L'Eté à la Maurie. Un officier allemand entre dans une ferme, en Charente, dit qu'il réquisitionne de quoi se loger. Il est, comme dit Chardonne, « d'une singulière distinction ». Le paysan lui dit : « Je ne veux pas manquer aux habitudes, permettez-moi de vous offrir un verre de cognac. » « Cela doit vous faire de la peine de nous voir ici », dit, plus délicat que nature, comme l'on voit, l'officier. « J'aimerais mieux vous avoir invité », répond le paysan. « Le Chardonne m'a paru abject de faiblesse et de lèche », écrit aussitôt Paulhan à Jouhandeau. « Le Chardonne purement abject, et abject est peu dire », écrit-il à un autre ami. « Ce geste du paysan interrompait le fatal enchaînement des désastres », protestera Chardonne dans son livre Voir la figure. Et il précisera plus tard, en 1949 : « Ce sont des Allemands de cette sorte, sans une exception, qu'un diable a semés sur ma route, pour me faire tourner la tête. »

Tout le long de l'occupation allemande, Chardonne s'entêtera à provoquer Paulhan par des propos « européens » qui friseront parfois le négationnisme. Par exemple, le fils de Chardonne, Gérard, est, lui, dans la Résistance. Il est déporté à Oranienburg. Par ses relations allemandes, Chardonne parvient à le faire libérer. Il écrit : « Après six mois on lui rend ses habits détachés et repassés. Tendres égards pour le fragment du manuscrit du Journal de Gide qu'il portait avec lui. Soins médicaux vraiment maternels. »

Jean Paulhan écrit à son ami Pourrat : « Chardonne nigaud comme toujours. » Et à Paul Eluard : « Chardonne qu'il ne serait pas exact d'appeler mon ami. » Aux lettres de Chardonne, il répond : « Les faits sont faux, les mots sont faux », mais, comme naguère, il reste courtois , et même très finement affectueux : « Je me disais que vous n'étiez pas fait pour être un écrivain maudit, et je n'y vois nul avantage pour vous. » Ou ceci, tellement Paulhan : « Il y a de l'injustice dans le sort qui vous attend. »Avec Catherine Pozzi, les échanges, amorcés en 1926, ne durèrent que huit ans : Catherine Pozzi est morte en 1934.

Elle écrivit en 1926 - elle avait quarante-quatre ans - un court récit, Agnès. Elle aussi ne voyait rien de plus élitaire que la NRF ; elle envoya donc à Paulhan son Agnès, signée de deux initiales, C. K. Il la publia. Commença alors un jeu ambigu : Catherine Pozzi souffrait d'un mal très douloureux, elle écrivait peu, juste quelques courts poèmes. Elle les adressait à Paulhan, mais son Journal montre qu'elle ne l'aimait pas : « Pas un de ses actes, les plus petits, qui ne soit un mensonge. » Elle jugeait ses lettres « d'une amabilité voilée de masques en roseaux », ce qui n'est pas clair, mais sûrement pas amène.

Paulhan était certes sensible aux rares qualités de Catherine Pozzi, qui avait écrit quelques traductions magistrales de Stefan George et un court récit, superbe, d'un humour assassin, très probablement autobiographique, que l'on pourrait titrer « Soir de noces » et que l'on peut lire à la suite d' Agnès, aux éditions La Différence. C'est de ce texte-là qu'il faut partir si l'on veut connaître et aimer Catherine Pozzi. C'est un texte proche de Colette, mais plus aigu, plus aéré, plus farceur. Catherine Pozzi n'aurait pas aimé cette comparaison, elle écrit : « Tout est faux en Colette. » Et ceci, définitif : « Jamais elle ne dépasse ce qu'elle dit. »

Etrange Correspondance : Catherine Pozzi et Paulhan se cherchaient sans se chercher. Quelques jours avant sa mort, alitée sans plus d'espoir, elle reçut de Paulhan une lettre : il lui disait enfin qu'il savait tous ses vers par coeur, qu'il se les disait souvent. Elle écrivit aussitôt quelques vers, elle les tendit à son fils, elle lui dit : « Envoie-les à Paulhan, Claude, c'est étrange, il n'y a pas une rature. »

MICHEL COURNOT

 

 

J'ai écrit ce livre pour tous

sachant que nul ne le lirait.

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Qui écrit cela ? ce n'est personne. Celui qui tend à n'être personne ; de même vous y tendez pourtant, maniaque d'un aspect souscrit d'un nom, car au bout de tout ce n'est pas le surhomme que veut la vie, mais le je-ne-me veux pas.

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Suscitez Personne qui ne soit pas quelqu'un ! sortez de vous tous ses discours !

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Si vous êtes un garçon, Personne est un étudiant ; si vous êtes un adulte pourvu, Personne est un mieux pourvu qui partage ; si vous êtes une jeune fille, Personne est une danseuse qui met le secret du monde en ballet, cela se fait beaucoup. Si vous êtes un dépourvu, Personne est un désespéré. Si vous êtes une femme, Personne, avec les mains blanches de la physique et les mains noires de la chimie, vous a cherché l'amour.

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Un scandale est à l'origine de la connaissance. Comment se fait-il qu'il existe autre chose que moi ? comment existe l'autre, le reste, tout, si je ne l'ai pas fait ! Comment existé-je, s'il ne m'a pas fait ! S'il m'a fait, comment suis-je son contraire !...

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« Il nous faut du réel, n'en fût-il plus au monde »...

Eh bien voilà. Que l'Univers existe ou non, cela n'intéresse pas les marchands d'automobiles, parce qu'il y aura toujours assez d'univers pour rouler dessus ou faire comme si. Mais c'est très important pour les peintres, mon fils.

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Il faut donc décider au plus vite de l'existence de l'Univers avant d'acheter un Juan Gris qui ne peint que je, ou lire André Breton. ________________________________________________
Tôt ou tard il faudra prendre parti. Ne vous laissez pas vivre dans un univers douteux que vous acceptez à demi.

Hélas, vous ne croyez pas que ceci soit urgent, l'Univers vous paraît certainement inattaquable ; vous n'achetez pas les tableaux de Braque, de Gris, vous ne lisez pas André Breton. Mais vous lisez Léon-Paul Fargue, vous lisez Joyce, et ils écrivent des mots sans univers correspondant, ce qui se fera de plus en plus : des macarelles, des pytalolles, des je-paroles ; mais qui sait quel ouvrier fait qui sait où les poèmes de la Révolution dans lesquels je subsiste seul (même si c'est un je-nous).

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Le XX° siècle est très mauvais pour l'Univers. ____________________________________________________

Cette fois-ci, l'Univers est bu.

Plus de conte, plus de but.

Aha ! ouvrons l'œil. il y a un tour de passe-passe entre un siècle et l'autre, on nous a pris le monde, il faut le

r-avoir. Ce n'est paut-être pas si difficile.

Respirons.

Il n'y aurait pas d'Univers parce que les sens sont infidèles : pour tout avouer, je ne crois pas aux témoignages indirects. Comme il a un témoignage direct de soi, je, parce que je pense, et qu'il n'a besoin que de soi pour penser, même pensât-il qu'il rêve, il est tranquille en ce qui concerne son existence à lui.
 
 
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Mais je pense-t-il ?

Ce n'est pas si sûr que cela. Ce qui donne à je un billet de vie, un ticket de réalité, entrez ! entrez ! ce n'est pas « penser ».

Penser n'a pas besoin de je peut-être.

Ce peut-être est perçant. Peut-être il pense comme il pleut ; les inventeurs le savent, qui voient leur même vérité descendre à la fois sur des points distants. Or, s'il pense à travers le je comme il pleuvrait sur une éponge, je n'est pas existant du tout, à peine je tient debout.

Ce n'est pas la pensée, c'est le sentir qui a besoin de je : et pour sentir il faut être deux à être, cher maître. Ne vous troublez pas, l'autre n'est qu'une table peut-être, qu'un caillou, que la première piqûre qui se trouve si loin de vois. L'autre est le reste; est tout.

je-sens-donc-je-suis.

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Or ce conte qui n'a pas été écrit par Personne est jeté pour le futur aux vents, car le temps est venu de retrouver à la fois je et un réel autre, l'intime, et l'étranger. Cependant que, dans l'irrémédiable douleur, on sache que pour je, c'est en vain ; qu'il n'atteint rien, qu'il ne sent pas, que ce n'est pas sur lui que luit le ciel, pas lui qui respire la rose, pas je qui fait des gammes du plaisir avec les jeux du soleil.

Que l'autre soit électron, table, ou onde, je vivant seul face à l'autre est aussi loin de le sentir qu'un mort.

Et voici le secret de l'être : sentir prouve je et l'Univers, mais je seul ne peut pas sentir.

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UN ÉGALE ZÉRO
 

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Vous prenez un vivant, non impressionné. Vous l'exposez à l'univers, et vous allez vous promener. Quand vous revenez, le vivant est plein d'images, de couleurs, de musique, de formes d'odeurs et de température. Plus vous l'exposerez, plus il en aura.

Est-ce qu'il y a des vivants qui ne s'impressionnent pas ? Non. Il y en a de vagues, mais pas d'entièrement manqués ; les manqués ne peuvent pas vivre.
 
 
 

Le bon sens accepte la sensation comme si c'était du devoir de l'Objet de l'en fournir, d'ailleurs gratis, et, quoique sur mesure, tout fait.
 
 

Catherine Pozzi, Peau d'âme